Il faut s'appuyer sur les développeurs pour réinventer la France selon Tariq Krim.
C'est ce 25 mars que Tariq Krim, fondateur de Netvibes et Jolicloud, remet son rapport "Les développeurs, un atout pour la France", à Fleur Pellerin. Outre une série de recommandations pour que les savoir-faire des développeurs soient mieux reconnus, l'entrepreneur a constitué une liste de 100 développeurs français de référence dans leur domaine respectif. Entretien.
L'Usine Digitale - D'où vous est venue cette idée de liste de "100 développeurs français" ?
Tariq Krim – Mon constat de départ est simple : la France possède de vrais talents du code. Beaucoup sont à l'origine des plus grandes sociétés du web, de technologies essentielles. On le sait peu, mais le co-fondateur de Linkedin est un Français, celui d'Android aussi, des Français ont participé à la création de Google Cloud, de l'iPhone, de Gmail… Or, en France, on a tendance à considérer ces personnes, présentes dans des universités ou des entreprises, comme de simples exécutants, tandis qu'aux Etats-Unis ce sont des stars, extrêmement valorisées.
Si on veut réinventer la France, il faut s'appuyer sur ce savoir-faire technique. D'où l'idée de cette liste - forcément subjective et non exhaustive - de 100 développeurs de tous horizons : certains sont des codeurs-entrepreneurs, d'autres ont créé des briques essentielles sur le web ou travaillé pour certains des plus grands services du Web. Ils doivent être considérés comme des atouts pour notre pays.
Y'a-t-il une "French touch" du code, une patte véritablement française ?
Nous sommes excellents dans l'algorithmique associée aux mathématiques, c'est d'ailleurs un trait commun avec la Russie. Notre système sélectionne les élèves par les maths. Lorsqu'en plus, on ajoute une compétence informatique, cela donne un cocktail explosif. C'est pour cela que nous sommes si bons en compression audio et vidéo. Mais attention : mon discours ne consiste pas à dire que nous sommes meilleurs que les autres, j'explique simplement qu'il y a une génération de gens qui ont révolutionné les choses depuis la France.
Que préconisez-vous pour que les codeurs soient mieux perçus et encouragés dans notre pays ?
Il y a un sujet majeur, c'est la réforme de l'Etat et les grands projets. On peut penser que si les développeurs étaient davantage associés aux décisions, certaines erreurs pourraient être évitées. On a plusieurs exemples de gabegies techniques en tête : Louvois ou le dossier médical personnalisé, entre autres.
L'autre priorité c'est l'éducation, avec l'apprentissage du code dès l'école primaire. Il ne s'agit pas de créer une société où tout le monde serait développeur mais de susciter un éveil. Tout comme on pratique le dessin, la musique, la gymnastique à cette période, on pourrait s'éveiller au code. Je propose de développer les formations en cycles courts et de s'adresser aux décrocheurs, comme peut le faire L'Ecole 42. Il faut aussi que les écoles d'ingénieurs soutiennent leurs élèves qui, en sortant, veulent se diriger vers le code.
Une fois formés, il faut aussi que les développeurs puissent évoluer et s'épanouir dans les entreprises…
Oui, en France, pour qu'un développeur accède à des postes de responsabilité, il faut qu'il change de métier, renonce à coder ! On a tendance à promouvoir des gens qui n'ont pas les compétences techniques en se disant, "c'est pas grave, on a les compétences à n-4, n-5". Nous sommes dans un modèle ancien, celui du culte du chef de projet, du cahier des charges… C'est culturel. Aux Etats-Unis, c'est l'inverse, les développeurs sont mieux valorisés que des chefs de projets, qui, pour le coup, sont considérés comme des assistants. Il faut trouver le bon équilibre.
En France, la plupart des projets sont conduits comme dans les années 70, il n'y a pas de fun. Or pour qu'un développeur s'épanouisse, il lui faut des perspectives enthousiasmantes, des projets "cools". C'est ce qu'il part chercher dans la Sillicon Valley.
A travers ce rapport, je pose la question : des codeurs qui ont créé leur boite comme Bill Gates, Mark Zuckerberg, Larry Page, Jack Dorsey, pourraient-ils lever des fonds dans la France d'aujourd'hui ? Ou le modèle de financement ne privilégie-t-il pas des profils de managers ou de talents issus d'écoles de commerce ? J'espère que mon travail permettra de faire bouger les lignes. Dans un monde profondément numérique, la France doit basculer d'autant plus rapidement qu'elle possède de bons développeurs.
Propos recueillis par Sylvain Arnulf