🟢 Souveraineté numérique (1960-2022)
Une occasion manquée ?
La France était l’un des rares pays Européens à pouvoir se doter d'une politique de souveraineté en matière de numérique.
Malheureusement, en 15 ans, nous sommes devenus très dépendants d’une infrastructure numérique que nous ne contrôlons ni économiquement, ni technologiquement, ni culturellement.
Je me suis impliqué dans ce combat à cinq reprises :
J'ai également publié un article dans les Annales des Mines.
Sortir de la naïveté
Longtemps taboue, la souveraineté numérique est désormais sur toutes les lèvres.
Il faut dire que l'élection de Trump et son discours anti-européen et anti-OTAN, la guerre froide technologique entre les États-Unis et la Chine, la crise du Covid ou la guerre en Ukraine ont révélé des divergences d’intérêts et de valeurs importantes entre l'Europe et le reste du monde, mais aussi entre pays européens.
Pour le gouvernement français, continuer à ignorer la question de la souveraineté numérique dans un tel contexte géopolitique n'était plus tenable.
Sortir de la caricature
Contrairement à ce qui a souvent été affirmé, défendre l’idée d’une souveraineté numérique ne veut pas dire être anti-européen ou anti-GAFAM.
Dans un monde géopolitiquement incertain, nous aurons besoin de nous assurer que nous contrôlons les fondations numériques qui font tourner nos États.
Il est important que le numérique soit au même niveau de criticité que les questions de souveraineté énergétique, alimentaire, militaire et industrielle. Une forme de retour aux sources.
Revenir aux origines de la souveraineté numérique
1983) à permis à une génération de jeunes français (dont moi) de découvrir l’informatique apprise au MIT.
La volonté de souveraineté numérique s’inscrit dans une histoire française du numérique souvent mal connue ou caricaturée. Il est pourtant important de la connaître pour prolonger son héritage et la vision singulière du numérique français.
Après la Deuxième Guerre mondiale, alors que le plan Marshall conditionne économiquement la reconstruction de l’Europe, deux pays, la France et l’Angleterre, décident de s’émanciper des restrictions imposées par les États-Unis pour développer leur propre filière informatique.
Ces deux pays l’ont bien compris : sans ordinateur, il ne leur sera pas possible de construire une bombe atomique. Et sans dissuasion nucléaire, il aurait été probablement impossible pour la France de peser au niveau international en pleine Guerre Froide.
L’informatique est une technologie duale.C’est l’investissement militaire qui finance la R&D (le programme Apollo et ses besoins en miniaturisation ont accéléré le développement des microprocesseurs). C’est la demande folle en puissance de calcul de la NSA (la très secrète agence américaine) qui a fait progresser de manière considérable les super ordinateurs. Cela permettra aux États-Unis de bénéficier de ces avancées pour entériner leur domination économique dès les années soixantes.
Mais la France n’est pas en reste. Elle est considérée comme l’une des nations les plus avancées en matière d’industrie informatique, mais elle a besoin d’ordinateurs plus avancés. Ce sera la raison d’être du plan calcul. Un plan qui sera arrêté brutalement par Giscard d’Estaing qui préférera soutenir quelques grands patrons d’entreprises privées qui souhaitent s’allier avec des sociétés américaines.
Il y aura pourtant de nombreuses retombées positives comme le premier micro-ordinateur inventé par François Gernelle. Il y aura aussi des expérimentations faites très tôt sur l’ARPANET par des ingénieurs Français.
Hélas, de manière constante, ces avancées seront toujours mises à mal, voire stoppées par certains acteurs au sein de l’État français.
Quel avenir pour la souveraineté numérique ?
La guerre en Ukraine et les nouvelles tensions géopolitiques ont accéléré la militarisation et la fragmentation de l’Internet. Elles ont aussi clarifié les allégeances des grandes plateformes numériques américaines et chinoises à la politique étrangère de leur pays d'origine.
Le contexte oblige l’Europe à jongler simultanément entre trois stratégies : au niveau de l’OTAN, au niveau de l’Europe et au niveau des intérêts de chaque nation.
- Ces stratégies ne sont pas forcément convergentes, même si les gouvernements tentent de les articuler du mieux possible.
- Dans ce contexte, il va falloir repenser la défense des citoyens, des entreprises et des intérêts vitaux des États. Cela nécessite de nouvelles stratégies numériques et une politique active de résilience.
- En cas de guerre numérique, le réglementaire ne fonctionne pas, il devient un frein. Il faut donc s’assurer que nous aurons les compétences techniques et un plan B en cas de défaillance du réseau mondial (sabotage de câbles sous-marins ou satellites par exemple).
Ces nouveaux défis, auxquels nous allons devoir faire face, sont inédits dans l'histoire de l’internet.