Pourquoi nous devons élire un tech-président?
L'entrepreneur emblématique du Web français, fondateur de Netvibes, déplore qu'il n'y ait pas de stratégie technologique menée au plus haut sommet de l'État.
L'année dernière, lorsqu'une amie me demanda si elle devait rejoindre les équipes numériques de la Maison-Blanche, ma réponse fut immédiate : « Quand auras-tu à nouveau l'occasion de travailler avec un président qui comprend vraiment le numérique ? » C'est la grande réussite d'Obama : avoir su convaincre les meilleurs de la génération start-up de venir travailler à ses côtés pour créer un État numérique efficace. À l'image du groupe d'élite 18 F, déployable à tout instant pour résoudre les problèmes techniques, comme la défaillance du site d'Obamacare.
En France, j'ai longtemps rêvé d'une initiative similaire, qui propose aux meilleurs développeurs des responsabilités pour récrire pièce par pièce le logiciel de l'État et le rendre plus performant, plus accessible et plus simple. En mars 2014, j'ai remis un rapport à Fleur Pellerin avec plusieurs propositions : impliquer les codeurs dans les projets, nommer un directeur de la technologie auprès du président, publier une feuille de route numérique. Une seule proposition aura été retenue, celle du visa Talent, mais elle donne le sentiment d'être surtout une opération de communication pour la mission French Tech.
Si nous voulons bâtir un gouvernement numérique, alors il faut embaucher les meilleurs, les faire revenir des États-Unis et leur donner toute latitude pour exprimer leur talent. À la suite de mon rapport, de nombreux développeurs ont exprimé le souhait de prendre une année sabbatique pour participer à la refonte numérique de l'État. Mais à la condition de ne pas être traités comme des subalternes et de s'appuyer sur une vision stratégique et technologique qu'ils respectent. Faute d'avoir nommé un directeur de la technologie, l'Élysée est, hélas, incapable de la porter.
Arrêter de considérer le numérique comme un simple élément de communication
Obama peut, lui, s'appuyer sur l'expertise et le réseau de l'ancienne de Google, Megan Smith.
Il est urgent d'arrêter de considérer le numérique comme un simple élément de communication. Nous n'avons plus le temps de tergiverser. Nous sommes déjà en retard sur l'accès aux données, les services mobiles ; l'absence de réflexion sur l'intelligence artificielle pourrait coûter à des dizaines de milliers de fonctionnaires leur emploi au lieu de renforcer leur expertise.
Dans un monde ultradominé par les plateformes américaines, le rôle et la place de l'État auraient dû être la priorité du gouvernement actuel. Elle est désormais celle des futurs candidats à la présidence. Ils devront expliquer leur vision au-delà des lieux communs habituels et nous présenter leurs équipes techniques ainsi que les choix d'infrastructures retenus.
Il nous faudra aussi opter pour une vision du numérique. Numériser l'État providence pour le rendre plus efficace et moins coûteux. Garder notre souveraineté ou procéder à une vente par appartements aux entreprises privées, à l'image du marché entre Microsoft et l'Éducation nationale.
Tout candidat qui n'est pas capable de répondre à ces questions ne peut pas prétendre gouverner la France en 2017. En effet, de ce choix dépendent non seulement la future qualité de vie de nos citoyens, mais aussi et surtout les emplois qui seront créés et détruits en France dans les prochaines années.