Avant-garde numérique

Cybernetica propose une autre vision du numérique pour se préparer au futur qui se dessine (géopolitique, nouvelles conflictualités, IA, cultures synthétiques, économie post-données).

Éditions Cybernetica

IA : révolution ou cauchemar ?

IA : révolution ou cauchemar ?



Un drôle de nom qui fascine, intrigue ou  inquiète depuis plusieurs semaines : ChatGPT. Cette intelligence artificielle capable de tenir une discussion, d’écrire un poème ou une dissertation a déjà séduit des millions d’utilisateurs et soulevé presque autant de questions. Alors sommes-nous à l’aube d’une révolution ou d’un cauchemar technologique ? L’intelligence artificielle va-t-elle transformer en profondeur nos sociétés ? Bouleverser notre rapport au travail, au savoir, à la vérité ? Peut-elle nous remplacer voire nous manipuler ? On en débat avec :

- Étienne Klein, physicien, philosophe des sciences, directeur de recherches au Centre d’Energie Atomique, professeur à l’École Centrale de Paris, producteur et animateur de "Le Pourquoi du comment : science" sur France Culture

- Olivier Tesquet, journaliste à Télérama

- Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Sorbonne Université, membre du Comité national pilote d’éthique du numérique, autrice de la tribune "ChatGPT : Saluer l’avancée technologique, mais comprendre les limites de ce type de système" publiée dans Le Monde

- Asma Mhalla, spécialiste des enjeux géopolitiques du numérique, enseignante à Sciences Po et à l’École polytechnique

- Tariq Krim, entrepreneur, fondateur de Netvibes, Jolicloud et de Polite, ancien vice-président du Conseil national du numérique

- Fabrice Epelboin, chercheur spécialiste des réseaux-sociaux, professeur à l’Université de Poitiers, cofondateur de “Yogosha”

La souveraineté numérique est morte...vive la résilience!

La souveraineté numérique est morte...vive la résilience!

Face à la militarisation croissante de l’Internet, il est urgent d’investir dans la résilience de nos infrastructures numériques.

Nous avions dix ans pour construire la souveraineté numérique de la France et la préparer au monde de demain, celui de la fragmentation et de la militarisation de l'Internet. Un monde où la déglobalisation compliquera l'accès aux composants technologiques nécessaires pour faire fonctionner le pays. Un monde où accepter la protection des États-Unis dans le domaine numérique nous obligerait, faute de véritable infrastructure indépendante, à ne faire que de mauvais choix économiques et politiques à l'image du deal « Données personnelles contre Gaz » initié l'année dernière par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Il nous reste dix ans pour mettre en place la résilience numérique de l'Europe, colonne vertébrale de nos échanges commerciaux ainsi que de notre vie citoyenne et culturelle.

La souveraineté numérique est un combat légitime, mais déjà dépassé par la situation géopolitique actuelle. Après la création d'un réseau mondial, puis son accaparation par quelques acteurs, nous entrons dans le troisième acte de l'histoire de l'Internet, marqué par un risque de fragmentation et d'instabilité. L'Internet ouvert, qui aura été pendant trente ans une source extraordinaire de croissance économique, laisse place à un réseau balkanisé et militarisé auquel nous ne sommes pas préparés. Nous avions pourtant une décennie pour faire de l'Europe et de la France le phare de l'Internet où il fait bon vivre. Mais au lieu de soutenir cette « troisième voie numérique », nous n'avons fait que louer, au sens propre et figuré, les technologies issues de la Silicon Valley.

Linux, MP3, MySQL… des inventions européennes

Le logiciel aurait dû être notre première ligne de défense. Il y a cinquante ans, François Gernelle inventait le micro-ordinateur et dans les décennies qui suivirent, les grands groupes français et européens allaient dominer le monde des télécoms, des réseaux, du mobile et de l'électronique grand public. L'arrivée de l'Internet basée sur des réseaux et des logiciels ouverts a fait naître un nouvel environnement technologique. La Silicon Valley est la seule région du monde qui accepta de prendre le risque de commercialiser une nouvelle génération de produits basés sur ces technologies. En Europe, les dirigeants des grands groupes aidés des politiques allaient tout faire pour les saborder et tenter d'imposer des alternatives propriétaires. Le destin numérique de l'Europe est alors scellé.

C'est l'Europe qui invente le Web, mais ce sont les États-Unis qui commercialiseront Netscape, le premier navigateur Web. Il ouvre la voie à la plus grande création de valeur de l'histoire de l'humanité. Linux, le moteur du Cloud, a été créé en Finlande, mais ce sont Google, Amazon et Facebook, Microsoft et les plateformes chinoises qui en profiteront vraiment. Face aux informaticiens et développeurs de la Silicon Valley, nous n'avions chez nous, aux manettes, que des politiques, des juristes ou des communicants. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas su faire émerger la filière logicielle que nous méritions. La plupart des politiques continuent d'ignorer que Linux, MySQL, Python, IRC, le Mpeg et le MP3, ainsi que bien d'autres briques fondamentales du Web moderne, ont été inventées en Europe, voire en France. C'est une des raisons pour lesquelles les investissements européens ont longtemps ignoré les créateurs de technologie Web et préféré financer de grands groupes qui n'ont jamais rien délivré. Une doctrine qui est toujours d'actualité.

La politique de financement des start-up européennes continue directement ou indirectement à renforcer nos dépendances à la stack technique des Gafam. Un « loyer » exorbitant qu'il est difficile d'ignorer dans notre balance commerciale. Le débat que je tente d'initier depuis dix ans entre le financement d'une infrastructure d'émancipation, c'est-à-dire un ensemble de briques souveraines dans lesquelles nous pourrions puiser, et celui d'une « start-up nation » addicte aux grandes plateformes, prend une nouvelle importance avec la suite ininterrompue de crises qui nous frappent. La crise du Covid, de l'énergie, l'inflation et la remontée des taux ont montré l'extrême fragilité des start-up européennes à la conjoncture internationale. Selon le fonds d'investissement Atomico, c'est déjà plus de 400 milliards de dollars de valorisation qui auraient disparu en fumée en 2022.

L'Europe est plus que jamais vulnérable

L'invasion de l'Ukraine par la Russie et le risque d'embrasement du cyberespace européen met à nu notre sous-investissement chronique sur la sécurisation de nos infrastructures essentielles, notamment les câbles sous-marins. Si la France dispose de sa propre réponse militaire en cas de conflit conventionnel, sur le numérique elle pourrait, comme l'a fait l'Ukraine, être obligée de demander la protection des Gafam. L'argent déployé en urgence pour protéger nos hôpitaux et nos services attaqués quotidiennement ne suffira pas pour couvrir les immenses besoins en la matière. L'autre sujet dont on parle peu, c'est celui de la balkanisation du réseau, le fameux Splinternet. Invité par les organisateurs de la conférence DLD, qui réunit chaque année avant Davos les principaux acteurs du numérique, j'ai décidé dans ma présentation d'aborder la question des conséquences d'une telle fragmentation sur nos économies déjà fragiles.

Ma théorie est que si la Chine, la Russie et d'autres autocraties décident de construire leur propre réseau incompatible avec le nôtre, alors l'Europe n'aura pas d'autre choix que de se jeter dans les bras des États-Unis et de leur céder le contrôle opérationnel du principal moteur de notre croissance : un réseau Internet libre et ouvert. Le risque est à la fois économique et culturel. En laissant les algorithmes des réseaux sociaux diluer nos spécificités culturelles, nous courons également le risque de perdre le contrôle de nos propres narratifs.

Quel avenir pour les démocraties européennes dans des plateformes où la désinformation et la polarisation sont toujours, cinq ans après l'affaire Cambridge Analytica, un problème technique insoluble ? Quelle capacité de résister face à une forme de colonisation idéologique par les nouveaux modèles d'intelligence artificielle instanciée aux États-Unis ? Il suffit déjà de voir comment les gigantesques bases d'apprentissage des nouveaux services d'intelligence artificielle de type ChatGPT produisent à travers leurs réponses les modes de pensée et les éléments de langage anglo-saxons.

Quel plan B ?

Une chose est certaine. L'Internet que nous avons toujours connu n'existe plus. Si la Chine s'est isolée de l'Internet occidental il y a 26 ans, ce sont aujourd'hui 35 pays qui ont bloqué partiellement ou complètement l'accès au réseau. Pour les dix prochaines années, la première des choses est de s'assurer de la continuité des services numériques essentiels dans le cas où l'Internet mondial viendrait à se dégrader. Alors que la situation numérique de l'Ukraine les oblige à se connecter dans certaines régions à Starlink, le réseau satellitaire privé d'Elon Musk, nous avons cédé notre propre solution de connectivité satellitaire aux Indiens. En cas de crise majeure de la connectivité, quel est notre plan B ?

Les crises des démocraties européennes, renforcées par la polarisation des débats sur les réseaux sociaux, les conséquences du changement climatique sur la mondialisation et désormais une potentielle crise de l'Internet semblent jouer en notre défaveur. L'Europe pourrait être l'une des grandes perdantes de cette nouvelle reconfiguration du monde. Sauf si nous nous préparons.

Car ce défi est aussi une opportunité pour l'Europe si nous décidons de changer de cap et de prendre notre destin en main. Une grande partie des logiciels de la nouvelle évolution du réseau sont créés en Europe : le Edge computing, IA à faible besoin de calculs, conception de puces ouvertes et une nouvelle offre de logiciels libres capable de nous émanciper des Gafam. Il y a aussi des projets à long terme comme l'informatique quantique, mais la bataille du réseau se joue maintenant. Les munitions techniques sont à notre disposition. Saurons-nous les utiliser ?

À LIRE AUSSISuprématie des Gafam : « Un iceberg, ça se renverse » Face au principe de réalité, la véritable bataille est idéologique. Les dirigeants européens et français n'ont ni vision ni volonté politique. La peur de l'inconnu les paralyse. Pendant que les États-Unis ouvraient l'Internet au monde en 1993, la priorité de l'Europe était le diesel propre. Trente ans plus tard, à la veille d'un risque de fermeture du réseau des réseaux, est-ce que les développeurs des technologies de résilience auront enfin l'oreille des politiques et le soutien financier qu'ils réclament ?

Où est-ce que les milliards d'euros des plans d'investissements européens et français continueront d'être déversés dans un futur qui n'existe plus ? Déplacer l'Europe du siège passager au siège conducteur, se traduit par la volonté de construire un monde numérique plus apaisé, moins consommateur en ressources énergétiques et plus respectueux de notre attention. C'est aussi une opportunité pour changer la direction « idéologique » du réseau. Car nous ne sommes pas les seuls « spectateurs » du combat dantesque que se livrent la Chine et les États-Unis pour la domination du réseau.

L'Inde, le Brésil, le Nigeria, l'Indonésie, la Malaisie et un ensemble de pays non alignés représentant près de deux milliards d'internautes seront attentifs à ce que nous saurons mettre en œuvre.

ChatGPT et les nouveaux enjeux de l’IA.

ChatGPT et les nouveaux enjeux de l’IA.

Alors que ChatGPT est au cœur de l’actualité depuis début décembre, Le Meilleur des mondes se penche sur cet outil accessible au grand public qui a déjà attiré un million d’utilisateurs. Qu’est-ce que ChatGPT, peut-on réellement parler d’innovation de rupture ?

Avec

  • Chloé Clavel Professeure associée en informatique affective à Telecom ParisTech
  • Lê Nguyên Hoang Vidéaste, créateur de la chaîne YouTube Science4All
  • Tariq Krim Entrepreneur, fondateur de Netvibes, Jolicloud et de la plateformes de web éthique Polite. Ancien vice-président du Conseil du numérique, spécialiste des questions d'éthique et de vie privée sur Internet.

Emission complète diffusée sur twitch

Retrouver le podcast et la version radiodiffusée ici.

Analyse des enjeux sociétaux autour des GAFAM avec Tariq Krim.

Analyse des enjeux sociétaux autour des GAFAM avec Tariq Krim.

Ce matin, le philosophe de la Tech et pionnier du web Tariq Krim nous dresse un bilan de l'année en matière de réseaux sociaux.

Avec

  • Tariq Krim Entrepreneur, fondateur de Netvibes, Jolicloud et de la plateforme de web éthique Polite. Ancien vice-président du Conseil du numérique, spécialiste des questions d'éthique et de vie privée sur Internet

2022 : les réseaux sociaux dans la tourmente, avec Tariq Krim

Twitter emporté par « le Joker » Elon Musk, Méta (ex-Facebook) qui licencie à tour de bras, TikTok sous le feu des critiques, les algorithmes qui nous dictent nos modes de vie... décidément, 2022 aura été l’année « de tous les dangers » pour les réseaux sociaux !

Ils n’ont jamais semblé aussi vulnérables, sans parler de leurs impacts sur la santé mentale et celles des démocraties qui n'ont jamais été autant décriés.

Pour comprendre de qui s’’est joué en 2022 et ce qui se prépare en 2023 Tariq Krim, pionner du web et ancien vice-président du Conseil national du numérique est avec nous ! Retour sur un des points de bascule de cette année 2022, la crise des réseaux sociaux à commencer par Twitter.

"Twitter est devenu le concentré de l'intelligence mondiale"

Twitter et ses 400 millions d'utilisateurs se trouvent toujours très loin des 3 milliards de Facebook ou des 2 milliards de Tic-Toc. Mais Twitter reste un outil indispensable dans nos vies comme le rappelle le philosophe du numérique : "Twitter, c'est à la fois un outil de diplomatie, de communication, qui a permis, pendant la crise du Covid, pendant les guerres, d'avoir accès à des spécialistes. Et souvent, même si on n'est pas officiellement abonné à Twitter, on peut voir les tweets de certains présidents ou d'autres personnalités influentes en ligne à la télévision qui nourrissent la hiérarchie de l'information. On parle de trending topics. Twitter est devenu le concentré de l'intelligence mondiale, du savoir et aussi des manipulations."

Mais Elon Musk défend une vision absolutiste de la liberté d'expression, mais selon les recherches de deux ONG, cela se traduit très clairement par une augmentation des insultes racistes qui ont bondi de 200 % depuis le rachat de Twitter par Elon Musk. L'antisémitisme a grimpé de 61 % ; l'homophobie de 56 % d'où un travail de modération essentiel qui ne semble plus autant au rendez-vous et qui favorise des torrents de haine. Le spécialiste rappelle que "depuis quelques mois, Elon Musk affirme un penchant un peu plus sombre, il déploie ce côté un peu troll qu'il n'affichait pas avant, en réhabilitant nombre de personnalité influentes sur Twitter".

En 2022, on a constaté plus que jamais le rôle déterminant de Twitter dans nombre de phénomènes d'actualité, notamment des soulèvements, des contestations en Iran comme en Chine : "C'est un rôle qui a toujours eu lieu. Il faut se rappeler qu'en 2009, quand il y a eu la première révolution iranienne, Twitter devait faire une mise à jour. Le département d'Etat, Hillary Clinton en personne a demandé à Twitter d'attendre un peu parce que cette révolution était en pleine action. Twitter a toujours été un outil politique. On le voit avec la guerre en Ukraine grâce à sa ses sources d'information. Twitter a toujours été très utile pour l'influence américaine".

L'Europe dépendante d'une tech américaine qu'elle avait pourtant elle-même inventée

Tariq Krim explique comment on peut imaginer la suite pour l'Europe et la France, berceau de l'esprit des Lumières, dans une situation où ce sont des puissances qui sont particulièrement en dépendance avec la politique américaine, et donc les plateformes américaines. Il revient sur ce paradoxe selon lequel l'Europe est aujourd'hui dépendante d'une technologie que les américains ont investi les premiers mais qui a pourtant été inventée en Finlande : "Ce qu'on oublie, c'est que le web a été intégralement inventé en Europe. Le Web a été inventé entre la France et la Suisse au CERN. Linux, qui est le système que tout le monde utilise, compris dans nos iPhones a été inventé en Finlande. On a le sentiment que toutes ces technologies ont été repris, packagés dans des produits qui nous sont aujourd'hui loués ou revendus en tant qu'Européens. On est dans une situation très bizarre : on a inventé ces technologies et on n'a jamais véritablement su en profiter.

Une forme de dépendance qu'on a construite, selon le philosophe, puisque en 1993 lorsque les Etats-Unis prétendent que l'Internet est le futur, en Europe, on mise sur le diesel propre : "On n'avait pas du tout la même focalisation sur la technologie. Puis, en terme de vision de société, la vision de la vie privée en Europe est totalement différente de celle des Etats-Unis. En Europe, les droits de l'homme font partie de nous, c'est inaltérable, alors qu'aux Etats-Unis, on peut la revendre, elle peut devenir une forme de monnaie courante. Depuis des années, la vie privée des Européens a été aspirée, mise dans des algorithmes d'intelligence artificielle et ensuite elle nous est réinjectés sous forme de publicité comportementale. C'est aussi la raison pour laquelle ce modèle, qui a fait la fortune de Google et de Facebook, est peu à peu mis à mal parce que les gens en ont un peu marre d'être dans cette pression permanente de flux conditionnés extérieurement. D'autant qu'avec le Covid et la crise énergétique actuelle, on s'est rendu compte qu'on n'avait pas les logiciels suffisants et équivalents en Europe. On se rend compte des manques avec une crise énergétique qui risque de se payer encore plus cher en Europe qu'aux Etats-Unis".

"Notre intelligence est comme réduite en location"

Un autre moment de bascule de cette année 2022, c'est que pour la première fois on se rendrait vraiment compte que ces outils ont été mis en hommage sans véritablement prendre conscience des risques d'addiction qu'ils pouvaient entrainer voire la dépossession de soi-même au profit d'une personnalisation artificielle qui nous donnerait l'impression inverse : "Tous les GAFAM utilisent des neuropsychologues, des techniques pour optimiser la tension, pour s'assurer que l'on ne sorte pas de notre téléphone. Notre intelligence devient une forme de location. On n'a pas véritablement le contrôle de sa vie, on ne possède plus rien là où avant, notre culture personnelle était traduite à travers des objets que l'on possédait quand aujourd'hui, on a des abonnements personnalisés par d'autres.

Mais d'une certaine manière, ces outils ont été détournés de leur usage de base. Le chercheur explique que à l'origine "l'ordinateur devait devenir un outil d'accès à plus de culture, à plus de connaissance. On parlait de village global, et progressivement, on s'est rendu compte que grâce notamment à l'intelligence artificielle, mais aussi à la possibilité de comprendre les comportements de chacun qu'on pouvait contrôler les gens. Et ce qui a changé c'est qu'aujourd'hui on change votre comportement pour que vous vous intéressiez à une publicité. On est en train de changer les gens. Mais le danger aussi c'est que quand on change des gens dans le cadre du commerce, on les change également en tant que citoyens. On l'a vu pendant la campagne américaine, mais aussi pendant le Brexit, ces outils ont changer l'imaginaire des utilisateurs via les clash artificiels et ce qui a profité au vote extrême".

Aujourd'hui, selon le chercheur, on ne mesure absolument pas quelles sont les conséquences de ce que l'on utilise. Ce qui est du domaine du privé ne l'est plus. Ce phénomène développe de plus en plus une relation de défiance entre ce que l'on est et son propre environnement numérique. Et de plus en plus d'utilisateurs, du fait des enjeux sur la santé mentale et sociale que ces GAFAM induisent quotidiennement, désirent voire se recréer des relations de confiance assez strictes. Mais, malheureusement le philosophe considère que, pour l'instant, la plupart des grands acteurs ne souhaitent pas aller sur ce terrain parce que le modèle économique associé ne irait contre leur intérêts : " Le business model de l'addiction et le business model de la manipulation est tellement important aujourd'hui que changer cela veut dire imaginer autre chose, et imaginer autre chose c'est peut-être un monde dans lequel Google, Facebook et toutes les entreprises auront beaucoup moins de pouvoir, où on passera plus de temps à lire, à faire d'autres choses, à passer du temps avec ses amis. Et c'est un problème puisqu'aujourd'hui la bourse est directement corrélée à la capacité de ses entreprises à gagner de l'argent sur ce phénomène de numérisation ".

La santé mentale : un levier de remise en question des usages numériques

Elle fait de plus en plus partie des leviers d'action et d'encadrement au niveau politique et sociétal, notamment quand on mesure l'impact des réseaux sociaux sur le sommeil : "Ces outils continuent à monétiser les utilisateurs même pendant leur sommeil puisque dès que vous vous levez, la première chose que vous faites c'est de prendre votre téléphone et en fonction de ce que vous voyez sur votre écran, vous allez être heureux ou pas, déprimé ou pas. Il y a un véritable risque et les parents surtout sont inquiets pour leurs enfants. Il y a véritablement des choses qui n'ont pas été pensées parce que très souvent, le problème, c'est que les développeurs de ces applications imaginent ces applications pour leurs propres besoins et oublient qu'il y a plein de cas extrêmes auxquels ils n'ont pas réfléchis aux enjeux sur la santé et l'évolution de ces outils sur l'individualité. On laisse les enfants seul face à ces outils sans véritable protection et sans véritable alternative. Les social media, c'est un peu le sucre de l'Internet parce qu'il faut comprendre que, désormais, l'addiction à des applications est autorisée chez les jeunes enfants alors que leur cerveau est en pleine phase de maturation. Ce qui les rend totalement incapables de penser à autre chose. Sans compter que maintenant on est sur des temps très courts, on n'arrive plus à réfléchir sur le long terme".

Fragmentation de la sphère numérique.

Fragmentation de la sphère numérique.

Quelle est la nature de la crise des plateformes et des GAFAM aujourd'hui ? Et comment la mettre en perspective ?

Avec

  • Tariq Krim Entrepreneur, fondateur de Netvibes, Jolicloud et de la plateforme de web éthique Polite. Ancien vice-président du Conseil du numérique, spécialiste des questions d'éthique et de vie privée sur Internet.
  • Charleyne Biondi Docteure en science politique, diplômée de l'université de Columbia et de Sciences Po
  • Julien Nocetti enseignant-chercheur à l'Académie militaire de Saint-Cyr, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et directeur de la chaire Risque cyber à la Rennes School of Business

L'importance prise par les plateformes et les GAFAM durant les 18 mois de pandémie semblait annoncer l'avenir. On allait assister sous peu à la totale colonisation de nos vies quotidiennes par un monde virtuel devenu à la fois super puissant et super riche. Et voici que depuis cet hiver, tout bascule à nouveau, de grands noms comme META, Twitter et Amazon ont procédé en novembre à des licenciements massifs qui pourraient atteindre 6% des effectifs chez Google au début de l'année qui vient. Et le Métavers promis par Mark Zuckerberg se révèle un gouffre financier sans résultat tangible. Parallèlement, FTX, devenue la deuxième plateforme mondiale de cryptomonnaie en trois ans seulement, valorisée à son plus haut niveau à 32 milliards de dollars, s'effondre en ce moment dans ce qui apparaît aux Etats-Unis comme l'une des banqueroutes les plus violentes de l'histoire du pays. Et enfin, début décembre, ce sont surtout les rumeurs de fermeture de Twitter qui ont retenu l'attention, dans la foulée du rachat du service par Elon Musk. Aujourd'hui, ces rumeurs sont à peu près démenties. Mais la gestion histrionique de Twitter par Musk sous prétexte de liberté d'expression continue et fait douter de l'avenir de Twitter ou en tout cas de sa direction exacte. Qu'est-ce qui se passe donc dans les nouvelles technologies ? Quelle est la nature de la crise et comment peut-on la mettre en perspective ?

Les invités du jour

Marc Weitzmann reçoit

  • Tariq Krim, fondateur du site Netvibes, Jolicloud et de la plateforme Polite.one, ancien Vice-président du Conseil national du numérique
  • Charlène Biondi, docteure en science politique, autrice de Dé-coder : une contre-histoire du numérique paru aux éditions Bouquins
  • Julien Nocetti, enseignant-chercheur à l'académie militaire de Saint-Cyr, chercheur au centre Géopolitique de la datasphère -GEODE-, chercheur associé à l'IFRI et responsable de la chaire Gouvernance du risque cyber à Rennes School of Business
    Auteur de Les GAFAM : une histoire américaine dans questions internationales, avec Laurent Carroué, publié à La Documentation française

Enjeux de la crise dans la sphère numérique

Après la publication de son essai Dé-coder : une contre-histoire du numérique, Charlène Biondi montre les limites d'une certaine approche de la technologie qui consiste à en faire un simple instrument d'un pouvoir. Elle précise son analyse : "pour comprendre ce qui se passe, notamment en termes d'impact pour la légitimité de nos institutions démocratiques et libérales, il faut réussir à arracher la technologie aux analyses en termes de pouvoir et essayer de comprendre le mouvement de fond qu'elle imprime sur nos imaginaires". Tariq Krim parle d'une géopolitisation de l'internet, il ajoute : "ce qui devait être un Internet mondial est en train de se fragmenter, on parle de 'splinternet'".
Julien Nocetti analyse l'impact de Twitter aux Etats-Unis et la nouvelle direction impulsée par Elon Musk "des sujets numériques deviennent très politisées, font l'objet de clivages politiques et qui peuvent être instrumentalisés à nouveau par des factions politiques".

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