Cybernetica propose une autre vision du numérique pour se préparer au futur qui se dessine (géopolitique, nouvelles conflictualités, IA, cultures synthétiques, économie post-données).
Le fondateur du site Netvibes et actuellement le fondateur et PDG de Jolicloud, ancien vice-président du Conseil national numérique est l'invité du 5/7.
Les thèmes du numérique et de l'intelligence artificielle sont complètements absents de nos débats pour la présidentielle, Tariq Krim tire la sonnette d'alarme.
Premier français remarqué par la Revue MIT Technologie, Tariq Krim a introduit Emtech France, le 15 décembre dernier à Toulouse. Désabusé, le fondateur de Netvibes et Jolicloud regrette le chemin pris actuellement par le secteur numérique.
Entretien par Gael Cérez.
En introduction de votre présentation à Emtech France en décembre, vous avez développé une vision très pessimiste du monde numérique, pourquoi ?
Je suis dans une forme de mal-être technologique depuis quelques années. J'ai découvert l'informatique au tout début des années 80 avec cette idée que l'information "wants to be free" et que la technologie va nous aider à construire un monde plus juste. Pour rappel, nous étions à l'époque en pleine guerre froide, dans un monde menacé d'annihilation atomique. Le monde d'aujourd'hui est plus complexe. Il a perdu cette capacité à s'imaginer plus loin dans le futur du futur. Tout ce que font les Elon Musk etc., Ce sont des choses que j'ai lues dans Isaac Asimov, Jules Verne, ou toute la littérature cyberpunk des années 70-80. Aujourd'hui, on a l'impression de vivre dans un roman de Bruce Sterling. Il n'y a pas d'échappatoire. On ne peut aller plus loin. On n'a pas de projection dans le futur.
Comment êtes-vous arrivé à cette prise de conscience ?
Au début du web et des startups, il s'agissait de rendre le monde meilleur, en redonnant du pouvoir aux gens grâce à la micro-informatique. On s'est battu contre une centralisation qui avait démarré avec l'arrivée de la comptabilité et des normes comptables. L'informatique personnelle et internet ont amené une myriade de choses. Mais désormais, il y a une reconcentration. Nous sommes revenus à une conformité technologique, très propre sur elle, peu disruptive parce qu'incapable de s'intéresser aux problématiques sociétales.
Les Gafam, les Uber, etc. Tout cela n'est pas disruptif ?
Si, mais le vrai sujet est ailleurs. Ces technologies ont la capacité de changer le monde mais la vraie question est : où arrête-t-on le curseur ? Soit on le fait pour la population qui en a les moyens, soit on va beaucoup plus loin et on l'ouvre au monde. C'est là que l'Asie, l'Inde et l'Afrique sont des endroits intéressants, car on y est confronté à une nouvelle classe moyenne. Ces gens auront des téléphones à 50 dollars avec internet gratuit et on construira un monde autour d'eux. L'Europe se retrouve dans une situation bizarre. Les États-Unis inventent de nouvelles doctrines, les amortissent chez nous et les installent en fin de compte en Inde et en Chine par exemple, pour les disrupter complètement.
Compte tenu de votre constat, vers quel monde numérique se dirige-t-on ?
Il y a aujourd'hui dans la finance une abstraction complète, y compris pour les grands patrons de banque française qui n'ont aucune idée de l'argent exact dans leurs comptes car tout est géré par des algorithmes. C'est la même chose avec les réseaux sociaux, les plateformes et les moteurs de recherches. On sait que les social media ont créé le phénomène américain des Tea Party. Quand on est Démocrate ou Républicain, on ne voit plus les mêmes contenus sur les réseaux sociaux. On ne débat plus. On reste entre nous. On se convainc que la situation est catastrophique. Il y a un peu de ça en France. Le risque est que les groupes se scindent et ne se parlent plus. Qu'on ne soit plus capable de se comprendre par manque de référents culturels communs ou de lieu de débat. Facebook et Google nous mettent en relation avec des gens dont nous partageons les idées. Or, la diversité c'est aussi le fait d'avoir un copain qui vous emmène voir un truc que vous n'auriez jamais eu envie de voir. C'est ce qui permet la découverte. D'une certaine manière, Facebook, Google et les autres ont rendu l'internet beaucoup plus petit alors que le rêve initial était qu'il soit le plus grand possible.
Que faut-il faire pour changer le cours de choses, selon vous ?
Cela fait 7 ou 8 ans que je pousse l'idée qu'il faut faire en Europe quelque chose de différent. On a des plateformes alternatives, des savoirs-faire sur Linux par exemple. Mais quand je vois le récent partenariat entre l'Éducation nationale et Microsoft, je vois qu'on reste dans le classique. On n'arrive pas à inventer une alternative. Les politiques ne comprennent pas la technologie. Ils ont du mal à comprendre qu'il est important d'avoir des alternatives. Le web s'appelle aujourd'hui l'open web. Il est devenu un ghetto. Je ne dis pas qu'Android et IOS sont de mauvaises choses, mais s'il n'y a pas d'alternatives, les acteurs dominants se comportent comme tel. On l'a déjà connu avec Microsoft et Windows. Il n'y a pas grand chose de nouveau.
Il y a un manque d'ambition en Europe ?
Je pense que oui. L'Europe a un rôle à jouer dans la technologie et la culture de la technologie. Elle doit donner une vision à long terme, différente et peut-être plus humaniste, moins centrée sur le court terme et les grains rapides et faciles. Il est important d'avoir des champions économiques, mais cette idée qu'on construit trop vite, sans vraiment s'intéresser à leur efficacité et implication dans le monde est un problème. On a des choses comme Raspberry Pi (Angleterre) ou Fairphone (Pays-Bas) qui construit des téléphones avec des minéraux issus de zones sans conflit ou réduisant l'impact écologique. Il y a des choses, mais à la différence de ce qu'on voit dans l'alimentation avec le bio, le slow food, etc. Il devrait y avoir des considérations similaires dans la technologie. Ce n'est pas le cas. Les gens comme moi qui essaient de promouvoir un vision différente ont échoué à en faire un sujet de débat.
Le 25 mars, Hedwige Chevrillon a reçu Tariq Krim, fondateur de Jolicloud, pour la remise de son rapport "Les développeurs, un atout pour la France" à Fleur Pellerin, dans Le Grand Journal, sur BFM Business.
Chaque soir, le Grand Journal, Hedwige Chevrillon reçoit la personnalité économique du jour, qui vient commenter son actualité et donner son point de vue sur les autres événements qui ont ponctué la journée.
Emmanuel et Tariq Krim discutent du rapport remis au gouvernement sur les développeurs en France. La démarche, ses buts, les propositions pour faire bouger les lignes. Mais aussi le rôle que les développeurs doivent jouer au sein de la société.
Alors qu'Axelle Lemaire vient d'être nommée secrétaire d'Etat au Numérique, Tariq Krim, serial entrepreneur du web et vice-Président du Conseil National du Numérique, lui souffle quelques conseils à l'oreille.
De nombreux challenges attendent le nouveau Ministre en charge du numérique et son possible Secrétaire d’Etat. Au-delà des grandes réformes économiques annoncées par le Premier Ministre et leur impact sur le numérique, de la future “loi numérique” (initialement prévue pour la fin de l’année), il va devoir aussi composer sur la forte mobilisation de l’écosystème des startups bien décidées à protéger les avancées obtenues. Il est également important qu'il soit bien entendu que les bénéfices de la transition numérique profitent à tous. Voici dix idées nouvelles qui pourraient être mises en oeuvre.
1- Mettre rapidement en place un site numérique gouv.fr fédérateur. Celui-ci concentrerait l’ensemble des informations et liens autour de l’économique numérique en France. Il proposerait un annuaire des aides, des dispositifs, des concours et des appels à projets qui sont le plus souvent éparpillés sur des dizaines de sites ainsi qu’un blog pour que l’ensemble de la communauté soit informé des dernières actualités.
2- Nommer un “Monsieur startup”. Présent dans le cabinet du ministre ou du secrétaire d'Etat, ce correspondant serait officiellement l’interlocuteur du secteur à plein temps. Il faut choisir à ce poste un profil qui connaisse bien la spécificité des modèles de financement mais qui soit aussi capable de les promouvoir auprès des acteurs publics.
3- Modifier certaines règles liées au CIR et au CII. Il faudrait en effet obtenir de Bercy une réduction importante du délai de paiement du Crédit Impôt Recherche (CIR) et du Crédit Impôt Innovation (CII). Les règles d'attribution de ces crédits doivent aussi être modifiées pour y apporter plus de souplesse. A l’inverse des grandes sociétés qui peuvent immédiatement déduire leur CIR de leur impôt sur les sociétés, les petites startups sans revenus doivent souvent attendre plusieurs mois avant de recevoir leur crédit d’impôt, ce qui les fragilise. Enfin pour bénéficier du CIR, il est quasiment indispensable de pouvoir justifier de diplômes d’ingénieur ou de techniciens ce qui écarte du calcul les développeurs autodidactes et les nouveaux profils techniques des startups par exemple.
4- Un rapprochement du CAC 40 et de l'écosystème numérique. L'idéal serait de réussir à réunir l’ensemble des patrons du CAC 40 pour les inciter à investir plus largement dans l’écosystème numérique français, à travers des fonds de corporate ventures, des fonds sectoriels ainsi qu’en augmentant le nombre de leurs acquisitions.
5- Promouvoir un programme “French Saas”. Il faut soutenir les solutions de cloud computing de type Software-as-a-Service (Saas) créées par des sociétés françaises. Il est incroyable que les startups françaises présentes dans ce domaine trouvent souvent leurs premiers clients aux Etats-Unis. Pour les aider, l'Etat pourrait mettre en priorité ces solutions Saas dans son programme d’achats innovants. Il faudrait ainsi repenser les dispositifs d’aides et incitations fiscales pour permettre à ce modèle de se développer plus facilement en France surtout auprès des administrations.
6- Développer un programme ambitieux d’open hardware français. Nous pourrions alors nous inspirer des initiatives Raspberry menées en Angleterre ou Arduino en Italie ; et relancer les formations de type bac technique en électronique afin de créer de nouveaux débouchés d’emplois dans le numérique à travers l’électronique.
7- Initier une réflexion sur l’usage des crypto monnaies. Pourquoi ne pas utiliser les monnaies de type Bitcoin, Litecoin,... pour le micropaiement sans friction (don, culture, échange gré à gré) et la création de chambres de compensations (conversion vers l’économie réelle) qui ferait de la France l’un des pays pionniers et leaders du secteur avec de nouvelles opportunités de revenus.
8- Mobiliser les meilleurs talents français du numérique. Pourquoi ne pas s'inspirer de l'initiative “Code for America” pour créer un équivalent national “Code pour la France”. Il s'agirait de mobiliser les meilleurs talents numériques pour rendre plus performant le fonctionnement de l’Etat ; travailler avec les écoles d'ingénieurs, les syndicats professionnels et améliorer ainsi les conditions d’exercice des développeurs.
9- Lancer des concours pour dynamiser le lancement de projets. Ces concours d’applications et “challenges” seraient lancés autour d’un problème à résoudre. Ils mobiliseraient les étudiants, chercheurs, startups autour de l’amélioration des services publics (santé, éducation, culture…), de la maîtrise des comptes publics ou pour l’invention de nouveaux services.
10. Transformer l’Etat en terrain d’expérimentation de la “sharing economy”. C'est en s'inspirant d'idées comme celles d'airbnb ou de blablacar qui donnent une priorité à l’usage, que nous pourrions trouver de nouvelles pistes de développement autour par exemple de la location de biens et services plutôt que de penser toujours à un système primant leur acquisition (parc immobilier, flotte de véhicules, acquisition d’expertises …).
Sous le titre « Les développeurs, un atout pour la France », Tariq Krim a remis au Gouvernement des recommandations pour promouvoir les développeurs en France. Il en a profité pour remettre à l'honneur les « codeurs » français qui ont contribué aux innovations des grands acteurs du numérique.
Entrepreneur, qui ai choisi la France pour y construire mes entreprises, notamment Netvibes, puis Jolicloud, j’ai pris à cœur la mission que vous m’avez confiée.
Cette mission arrivait à un moment où je commençais à rencontrer de manière informelle de jeunes entrepreneurs pour des “offices hours”, une heure par semaine pour tenter de répondre à toutes les questions qu’ils pourraient se poser.
Dans mon entreprise chacun de mes collaborateurs dispose le vendredi, de temps pour travailler sur le sujet de son choix, pour expérimenter quelque chose de nouveau. C’est ce que nous appelons les projets du vendredi.
Cette mission était mon projet du vendredi, j’y ai consacré le temps que je pouvais me permettre de lui accorder.
Lorsque je travaillais dans la Silicon Valley, il y avait une rumeur persistante : derrière tout projet majeur, il y avait toujours un développeur français pas loin. Cette situation n’est d’ailleurs pas nouvelle. De nombreux pionniers de l’informatique sont français, mais à l’instar de ses scientifiques, la France n’a jamais su ni les valoriser, ni les médiatiser.
Si nous avons du mal à nous imposer sur la scène internationale (l’absence de la France du club de grandes plate-formes Internet en témoigne), ce n’est pas faute de talents français.
Ces “success stories” françaises proviennent d’ingénieurs formés dans nos meilleures écoles mais souvent aussi d’autodidactes comme Xavier Niel ou Octave Klaba, immigré polonais arrivé en France en 1990.
Initialement destinée à cartographier les « talents numériques », la mission a pivoté … Un peu à l’image de ces startups qui réorientent leur positionnement produit marché et leur modèle économique.
Je me suis rendu compte que je pouvais faire œuvre utile en recensant les développeurs français les plus marquants, en dressant un tableau des contributions françaises à des technologies, à des logiciels significatifs : voire même à des briques essentielles de l’Internet.
Parce qu’il fallait bien fixer une borne, nous nous sommes limités à en présenter une centaine : certains bénéficient déjà d’une certaine notoriété au sein de la communauté ; d’autres pas.
Naturellement, cette liste est loin d’être exhaustive et nous ferons appel à la communauté pour la compléter. Elle est aussi subjective, comme tout recensement partiel.
Nous nous sommes attachés à recenser les “codeurs” et non les dirigeants d’entreprise. Si certains chefs d’entreprise apparaissent dans la liste, c’est au titre de leur(s) contribution(s) en tant que développeurs.
Inconnus du public comme des décideurs, ils sont à l’origine des outils que nous utilisons tous et des plus belles entreprises internationales.
Dans un monde dominé par les grandes plate-formes américaines, cette communauté puissante de développeurs, créatifs et capables d’inventer des solutions alternatives constitue un véritable atout pour la France.
Cette mission aura été utile si elle donne un peu plus de visibilité aux talents français du Code. Elle débouche aussi sur quelques recommandations.
Au-delà de la reconnaissance, pour retenir les meilleurs développeurs, il est important de leur donner le pouvoir de changer le monde, grâce à la technologie, depuis la France.
Tariq KRIM
Cette Mission est dédiée à René Cougnenc, disparu bien trop tôt en 1996. En introduisant et distribuant la première version de Linux en France, il a permis à toute une génération de développeurs français de se libérer des contraintes de l’ancien monde. La France lui doit beaucoup.
Remerciements
Je souhaite avant tout remercier l’ensemble des personnes qui m’ont aidé pour l’élaboration et la rédaction de ce travail.
Maurice Ronai, Géraldine Bal ainsi que Mathilde Bras et Brice Brandenburg qui m’ont aidé à la rédaction de ce texte.
Benoit Thieulin, Jean-Baptiste Soufron, Benjamin Ryzman, Jean Marie Hullot, Romain Guy, Benjamin Mestrallet, Philippe Langlois, Alban Schmutz, Bernard Benhamou, Bertrand Diard, Romain Huet, Gilles Samoun, Renaud Visage, Olivier Deckmin, Gilles Boccon Gibod, Ollivier Robert, Yves Poilane, Marie Ekeland, Godefroy Beauvallet, Audrey Harris, Benjamin Bejbaum, Jonathan Benassaya, Reda Berrehili, Paul Richardet, Julien Dourgnon, Laurent Féral-Pierssens, Philippe DeWost, Henri Verdier, Stéphane Zibi, Francois Beaufort, Romain Dillet, Om Malik, Marc Dangeard et tout ceux que j’oublie qui m’ont aidé à la réalisation de cette liste.
A l’ensemble des équipes de Jolicloud et de Netvibes pour leur soutien, leur temps et leurs conseils.
A l’ensemble des membres du Cabinet de la Ministre et notamment Sébastien Soriano, Bruno Sportisse, Bertrand Pailhès pour leurs encouragements.
A l’ensemble des membres et du bureau du Conseil national du numérique pour leur confiance et aide précieuse.
Les talents français du Code
C’est un paradoxe qui est souvent pointé par nos interlocuteurs aux États-Unis : alors que la France a perdu pied dans l’économie numérique, des chercheurs, des ingénieurs et des développeurs français ont été à l’initiative d’innovations essentielles du monde numérique.
Le code, une autre révolution française
C’est à la fin des années soixante que deux ingénieurs, Pierre Bézier chez Renault, et Paul Faget de Casteljau chez Citroën inventent la Conception Assistée par Ordinateur, la première brique de la virtualisation du monde. Il faudra attendre des décennies pour que leur contribution essentielle au monde moderne soit reconnue.
Dans les années soixante-dix, la France est pionnière dans de nombreuses disciplines du numérique. Avec le langage de programmation par contraintes Prolog, Alain Colmerauer ouvre aux programmeurs l’accès aux premières pages de l’intelligence artificielle et de la singularité. Jean Ichbiah qui fut le principal concepteur du langage de programmation ADA, retenu par le Département américain de la Défense ouvre la possibilité des années avant Java (au coeur d’Android et des systèmes des grandes entreprises), d’un langage commun pour des environnements informatiques hétérogènes.
C’est en 1973, que François Gernelle mit au point le premier micro-ordinateur à base de microprocesseur, le Micral. En 1974, Roland Moreno dépose le brevet de base de la carte à puce. C’est à Louis Pouzin, enfin, alors chercheur à l’INRIA, que l’on doit le concept de datagrammes, qui ouvrit la voie au protocole TCP/IP qui régule encore aujourd’hui le trafic Internet.
Les années 80 et 90 ne sont pas en reste.
Alors que la presse américaine vient récemment de saluer le rôle de François Mizzi dans la mise au point des écrans tactiles, dès 1982, c’est en Californie que s’illustre une nouvelle génération d’informaticiens français. Philippe Kahn y crée Borland Software, qui franchit en quelques années le cap des 500 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel. Toujours actif avec MotionX, sa plus récente société, il continue de s’impliquer dans le développement de technologies de capteurs pour objets connectés.
En France, Laurent Ribardière crée la première base de données pour Macintosh 4D : la presse informatique de l’époque y vit le signe de l’arrivée du phénomène startup en France. Steve Jobs ne tarissait pas d’éloges sur la qualité des ingénieurs. Il n’hésitera pas à faire appel à plusieurs d’entre eux pour des postes-clés dans ses trois sociétés : Apple, NeXT et Pixar.
Dans les années 90, Jean-Louis Gassée lance Be Inc son système d’exploitation BeOS révolutionnaire. En avance sur son temps, il introduisait le principe de journalisation de fichiers, développé entre autres par Cyril Meurillon et désormais adopté par tous les systèmes d’exploitation moderne.
C’est à Jean-Marie Hullot (ex-chercheur de l’INRIA) que Steve Jobs confia le poste de directeur technique des Applications pour MacOS X, et ensuite la conception à Paris de ce qui deviendra l’iPhone.
Les habitués des keynotes d’Apple connaissent bien l’accent frenchie de Bertrand Serlet qui avant de créer sa propre startup Upthere, était Vice-Président en charge du développement de MacOS X.
L’arrivée de l’internet sera une nouvelle opportunité de démontrer le talent et le savoir-faire français.
Louis Monier met au point le moteur de recherche d’Altavista (il est aussi passé par Google). François Bourdoncle en perfectionnera certaines fonctionnalités. De retour en France, il lancera Exalead, l’un des rare moteurs de recherche Français.
Jean Paoli, reconnu comme l’un des co-inventeurs du langage XML, dirige aujourd’hui la division Open Source de la société Microsoft.
Marc Fleury, concepteur du serveur d’application J2EE Libre Jboss racheté par RedHat, travaille actuellement à la mise au point d’OpenRemote, une plateforme open source qui permet de piloter différents appareils domestiques à partir d’un smartphone ou d’une tablette.
L’équipe OpenTV issue d’une collaboration entre Sun Microsystems et Thomson Multimedia sera une excellente vitrine du savoir faire français dans la télévision interactive. Tristan Savatier sera l’un des principaux responsables du logiciel de décodage vidéo Mpeg. Avec Gilles Boccon-Gibbod, ils quitteront Thomson pour créer Xaudio et son décodeur MP3 utilisé par de nombreuses sociétés, Apple, notamment, qui le retiendra pour son logiciel iTunes.
Parmi les développeurs de la plateforme OpenTV, on retrouve Alain Depulch, l’un des pères du Thomson TO7. Il se murmure même que Bill Gates avait dû embaucher un traducteur français pour comprendre les améliorations faites sur le langage BASIC, son produit phare de l’époque. L’équipe dirigée par Vincent Dureau, prendra la tête du projet Google TV.
Les grandes firmes Internet de la Silicon Valley ont toujours su accueillir les développeurs et des architectes, formés dans nos universités et grandes écoles.
Passé par Sun et Google, Ludovic Champenois est à l’origine d’App Engine, la plateforme de cloud concurrente d’Amazon Web Service créée par Google. Une autre société française, Docker, sortie du prestigieux Y Combinator a réussi le pari de révolutionner la manière dont on héberge les applications sur le cloud.
Chez Google, Romain Guy, diplômé de l’INSA Lyon sera l’un des développeurs clé d’Android, tandis que le français Jean Baptiste Queru s’occupera de la distribution de la version opensource d’Android (Android opensource projet). Il quittera ce poste suite à une polémique sur la distribution d’Android pour rejoindre Yahoo.
Hoa Dinh Viet et Dominique Leca lancèrent Sparrow, le lecteur d’email le plus simple pour iPhone. Sparrow sera la première société française rachetée par Google. Ils seront rejoints par Gilbert Cabillic et son équipe de Flexicore, responsable de DroidBooster, un accélérateur de code sous Android, également racheté l’année dernière par Google.
La France se singularise aussi par de très nombreux développeurs français qui à titre individuel ont contribué à des projets essentiels du logiciel libre.
Avec le Centre Mondial de l’Informatique créé dans les années 80, Jean Jacques Servan Schreiber avait su attirer les plus grandes figures de l’informatique, comme Seymour Papert et Nicholas Negroponte. Parmi les nombreux développeurs qui auront fréquenté les bancs de ce curieux institut, figurait Richard Stallman, penseur et promoteur du logiciel libre. Dès la fin des années 80, la philosophie du logiciel libre rencontre un large écho en France. Parmi les premiers évangélistes, René Cougnenc, Loïc Dachary, mais également des informaticiens comme Remy Card qui ont fait de la France l’un des pays pionniers de Linux dans le monde.
Dans un monde discret, peu sensible aux honneurs, des centaines de développeurs français ont donné de leur temps pour améliorer, renforcer, traduire et créer des briques de logiciels libres.
Parmi ces nombreux contributeurs, Fabrice Bellard occupe une place à part. A peine connu en France, il est pourtant l’un des pionniers des technologies de virtualisation, avec la conception de l’émulateur QEMU. Un de ses autres bébés, la librairie FFMPEG a permis de révolutionner l’usage de la vidéo sur Internet. Google l’utilise comme librairie vidéo standard dans le navigateur Chrome.
Julien Danjou, à l’origine du gestionnaire de fenêtre Awesome, une alternative aux systèmes traditionnellement présents sur Linux, a vu son travail utilisé par Amazon pour certaines de ses liseuses Kindle.
La distribution Linux Tails, l’une des plus sécurisées au monde (utilisée par les journalistes qui travaillent sur les documents Snowden), aurait été conçue en partie en France.
Hackers, crackers, spécialistes en sécurité, experts en cryptographie : encore un domaine où nous excellons. Hélas, à quelques exceptions, comme Philippe Langlois, ils ne sont pas assez impliqués dans la création de startups. Ils gagneraient à être plus écoutés par les pouvoirs publics.
Dans l’univers du jeu vidéo et de la 3D enfin, la réputation de nos développeurs n’est plus à faire. Ils nécessiteraient leur propre liste!
Des développeurs français qui ont marqué l’univers du code à l’international
Nous avons recensé une centaine de développeurs qui ont contribué à façonner le numérique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Leurs biographies sont disponibles en annexe.
Certains d’entre eux ont participé au développement et au succès des géants du numérique : Google, Apple, Microsoft, HP, eBay, Xerox, Box, Firefox, LinkedIn, AltaVista, OpenTV, Colt Technology, Pixar, Rockstar North, Frosbite3, Naughty Dog…
Il s’agit notamment de Romain Guy, François Beaufort, Patrick Chanezon, Ludovic Champenois, Cédric Beust, Mathias Herberts, Bertrand Serlet, Jean-Marie Hullot, Luc Julia, Laurent Cerveau, Olivier Gutknecht, Alain Delpuch, David Fattal, Cyril Meurillon, Pierre Omydiar, Jean-Marc Loingtier, Christophe Hery, Florian Jourda, Paul Rouget, Jean-Luc Vaillant, Louis Monier, Alex Hadjadj, Ludovic Chabant, Clémence Saussez, Christophe Balestra…
D’autres ont travaillé au développement de briques technologiques désormais incontournables, notamment dans le domaine du logiciel libre : URBI, Debian, Linux, KOffice, VLC, Ubuntu, Savannah, Paparazzi, Open BSD, Objective Caml, DNS…
Samuel Tardieu, Akim Demaille, Sam Hocevar, Julien Danjou, Lucas Nussbaum, Fabrice Bellard, Thierry Carrez, Rémy Card, Frédéric Weisbecker, Eric Dumazet, David Faure, Xavier Leroy, Pierre-Yves Ritschard, Marc Espie, Pascal Brisset, Antoine Drouin, Michel Gorraz, Pierre-Selim Huard, Jeremy Tyler, Loïc Dachary, Christophe Massiot, Jean-Baptiste Kempf, Nicolas Barcet, Pierre-Julien Grizel, Stéphane Bortzmeyer et encore bien d’autres.
Des développeurs sont également nombreux à s’être lancés dans l’aventure entrepreunariale en créant des sociétés parmi les plus innovantes : DailyMotion, Free, Deezer, Neuf Cegetel, Criteo, Gandi, Netvibes, eXo Platform, Codenvy, Docker, Moodstock, Jolicloud, Mandriva, Fotopedia, Eventbrite, Lima, Applidium…
On peut notamment citer Salomon Hykes, Sébastien Pahl, Samuel Alba, Jérôme Petazzoni, Olivier Poitrey, Nadir Kadem, Stéphane Enten, Sébastien Boutruche, Rani Assaf, Nicolas Stefani, Maurice Svay, François Hodierne, Benjamin Mestrallet, Patrice Lamarque, Stévan Le Meur, Cédric Deltheil, Pierre Chapuis, Romain Huet, Benjamin Ryzman, Jérémy Bethmont, Arnaud Vallat, Pierre Beyssac, Laurent Chemla, Valentin Lacambre, Romain Niccoli, Franck le Ouay, Daniel Marhely, Aurélien Hérault, Frédéric Lepied, Cédric Carbone, Jérôme Rota, Hubert Zimmermann, Jean-Paul Smets, Sébastien Bourdeauducq, Fabien Potencier, Ludovic Dubost, Gilles Boccon-Gibod, Tristan Savatier, Cédric Pinson, Sylvain Rebaud, Steeve Morin, Michel Morcos, Gawen Arab, Charles Souillard, Laurent Ribardière, Mathieu Laban, Christophe Wolfhugel, Julien Genestoux, Pascale Vicat-Blanc, Bertrand Guiheneuf, Sébastien Maury, Renaud Visage, Romain Goyet, Daniel Glazman, Mickaël Rémond, Yann Lechelle, Stéphane Fermigier, Hadrien Gardeur…
D’autres font partie des experts en sécurité reconnus au niveau international : Philippe Langlois, Matthieu Suiche, Kostya Kortchinsky, Franck Denis, Renaud Lifchitz, Sébastien Tricaud, Julien Vanegue…
Sans oublier les pionniers de l’informatique : Claude Masson, François Gernelle, Bertrand Meyer, Alain Colmerauer, Pierre Bézier, Paul de Faget de Casteljau, Jacques Pitrat, Louis Pouzin.
Tirer parti des talents français du code
La quasi-totalité des grandes entreprises numériques du monde occidental sont américaines.
Jamais, pourtant, la France n’a eu en son sein autant d’expertise logicielle, ni d’envie de conquérir le nouveau monde.
J’ai rencontré au cours de cette mission une soixantaine d’entrepreneurs de sociétés à vocation plutôt technologique :
Trois questions revenaient, de manière récurrente, dans nos échanges :
L’avenir de nos entreprises est-il en Californie ?
Avons nous fait le bon choix de vouloir, à toute force, entreprendre en France?
Dans quelle mesure les politiques publiques peuvent-elles compenser le caractère asymétrique de la compétition?
Toutes les plateformes desktop et mobiles commerciales sont américaines. Les startups américaines bénéficient d’emblée de toute une série d’avantages structurels : un immense marché linguistiquement unifié, ouvert à l’innovation ; une concentration exceptionnelle d’early adopters, une puissante industrie du capital-risque, disposée à miser des sommes considérables pour faire grandir des startups dès lors qu’elles disposent d’une technologie originale ou unique, une densité remarquable de serial entrepreneurs et de business angels disposés à accompagner les startups de pointe, une concentration unique de développeurs (formés dans les universités américaines mais aussi issus du monde entier et attirés par l’excellence technologique des géants de l’Internet ou des plus brillantes startups).
Comment changer la donne ?
Comment les pouvoirs publics pourraient-ils contribuer à compenser le caractère asymétrique de la compétition ?
Certes, les pouvoirs publics, notamment depuis deux ans, ont multiplié les initiatives : pour encourager l’entreprenariat, pour encourager la R&D (crédit Impôt recherche), pour orienter l’investissement vers les startups, pour structurer des écosystèmes locaux-régionaux, pour accompagner et promouvoir les startups (French tech), pour réunir les acteurs dans une logique de filières (plans industriels), pour financer des projets (Investissements d’avenir, BPI, concours mondial d’innovation…).
Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette politique mais on peut aussi se demander si d’autres actions ne seraient pas nécessaires pour passer des intentions affichées à des résultats.
La France sait produire d’incroyables talents dans le code, mais, peine à en tirer pleinement parti
Nous devons être fiers des réussites françaises dans le domaine du e-commerce… Mais pour changer le monde et créer des champions européens ou mondiaux, il faut aussi oser s’attaquer à des marchés réputés imprenables, ou faire ce que personne n’a osé faire avant. Il faut savoir faire confiance à des développeurs, souvent jeunes, sans aucune expérience.
La France manque cruellement de startups “disruptives”
Elle manque de confiance dans ses développeurs et ses entrepreneurs.
Pour être financé et soutenu en France, il faut souvent adapter un service qui a déjà marché ailleurs. Le modèle d’investissement des acteurs du capital-risque en France comme celui des Investissements d’avenir a tendance à privilégier les modèles économiques clairs et établis. Il favorise souvent les entrepreneurs issus des grandes écoles, notamment des écoles de commerce.
C’est pour cela qu’un grand nombre de nos développeurs se rend dans la Silicon Valley où ils seront accueillis les bras ouverts.
Tous les acteurs doivent être mobilisés pour soutenir plus les start-ups technologiques : grandes entreprises, acteurs publics du financement (BPI, CGI), capitaux-risqueurs. De nombreuses mesures ont été annoncées ces derniers mois en faveur des start-ups : l’évaluation de leur impact réel est un vrai enjeu pour les années à venir.
Financer les startups est une chose : leur ouvrir des opportunités d’affaires en est une autre
Le soutien aux startups repose pour l’essentiel sur des mécanismes de financement ou des mécanismes d’accompagnement alors que les startups les plus entreprenantes préféreraient pouvoir expérimenter et déployer leurs solutions « dans le monde réel » : les mettre à l’épreuve d’utilisateurs et de clients réels dans le système éducatif, dans l’univers de la santé, dans le domaine de la transition énergétique.
Les opportunités dont il est question ici sont de deux types : l’accès à des jeux de données et des interfaces de programmations (API) autour desquelles des startups pourraient développer de nouveaux services et l’accès à la commande publique.
L’ouverture des données publiques a connu d’incontestables avancées au cours des derniers mois. Malgré l’engagement du Premier Ministre, elle continue de rencontrer des résistances. Et les données disponibles le sont encore trop rarement au travers d’interfaces de programmation (API).
S’agissant de la commande publique (40 milliards d’euros pour l’État et 80 milliards si l’on prend en compte les collectivités locales et les hôpitaux), elle est trop souvent encadrée par des cahiers des charges contraignants et des procédures de marchés publics dissuasives. Les budgets d’investissements annuels ne sont pas adaptés aux nouveaux business models de type SaaS , Appstore (paiement via un magasin d’application) ou “Fremium” (usage gratuit avec fonctionnalités payantes) alors qu’elle sont le fondement des modèles des starts up disruptives. De ce fait, ils éliminent les plus petites startups.
Le Pacte de compétitivité prévoit la mise en place d’une procédure d’achats innovants. Il fixe l’objectif de 2 % d’achat public innovant à l’horizon 2020. Pour que cette procédure produise des effets, les administrations devront sortir d’une position passive d’attente de propositions en provenance des PME et des startups et accepter d’expérimenter régulièrement des nouvelles solutions, sans attendre une validation du marché.
Il conviendrait d’inciter les administrations à prendre les devants en publiant des appels d’offres décrivant un besoin. Quitte à sortir des sentiers habituels de la commande publique, autant s’orienter carrément vers l’organisation de concours autour d’un “problème à résoudre” (“challenge”) pour faire émerger des concepts applicatifs innovants. Le gouvernement américain recourt désormais largement au mécanisme des concours : il a même ouvert une plateforme, Challenge.gov, qui permet a chaque agence fédérale de lancer des « défis ».
Des initiatives récentes vont dans ce sens comme les Concours mondiaux d’innovation, les défis de l’Agence Nationale de la Recherche ou encore les « Challenges Big Data » du Programme des Investissements d’Avenir. Cette dynamique doit néanmoins être amplifiée et maintenue dans la durée.
Un tropisme persistant en faveur des grands groupes
La France s’est reconstruite dans les décennies qui ont suivi l’après-guerre autour de grandes filières industrielles comme le nucléaire, le pétrole, l’aéronautique ou les télécommunications. Les corps techniques de l’État qui assurent la continuité de la politique industrielle française depuis la Libération sont à l’origine de nombreux succès mondialement enviés dans ces domaines.
Pour la conduite de projets jugés essentiels pour l’État, les grands groupes ont capté l’essentiel des commandes publiques ainsi que du financement public de R&D.
Quant il s’est agi de développer une politique industrielle dans le numérique, la tentation a été forte pour l’Etat d’y transposer des démarches similaires, en confiant aux grands groupes la conduite des projets numériques jugés essentiels, voire “souverains” : le projet Quaero (qui visait le développement d’un moteur de recherche alternatif) est l’exemple le plus connu de cette démarche.
De telles approches conduisent encore trop souvent à des choix techno-industriels, avec une faible cohérence et parfois à contretemps. On notera notamment l’absence Française sur les plate-formes essentielles pour les développeurs ( OS, Browser, outils de developpements, …)
Un certain nombre d’idées fausses doivent être définitivement déconstruites auprès des décideurs de la politique industrielle du numérique en France :
Ce qui est gratuit n’a pas de valeur ;
il faut plus de 100 ingénieurs pour créer un logiciel de niveau mondial ;
il faut énormément de capital pour réussir dans le logiciel ;
les bonnes technologies viennent des Etats-Unis,
ce sont les grandes entreprises qui font la révolution numérique.
il n’est plus possible de lutter contre les grandes plate-formes américaines
Nos Recommandations
1. Prendre en compte le rôle essentiel des développeurs
Les success stories françaises du Web et du logiciel proviennent de développeurs : ingénieurs formés dans nos meilleures écoles mais souvent aussi autodidactes comme Xavier Niel ou Octave Klaba, immigré polonais arrivé en France en 1990.
L’univers des développeurs bénéficie en France d’une faible reconnaissance. Ils sont souvent considérés comme des exécutants.
Les développeurs sont dans un angle mort : on ignore leur nombre. On ne sait pas grand chose sur leurs trajectoires, leurs qualifications.
2. Une feuille de route technologique pour l’État, les ministères et les opérateurs publics
Nous sommes entrés dans un nouveau cycle technologique avec la migration vers les mobiles, l’avènement des objets connectés et l’internet des objets, le cloud, HTML5 et la révolution des données massives.
Ces ruptures technologiques affectent l’ensemble des domaines d’activité, et, de ce fait, l’ensemble des politiques publiques : santé, éducation et transition énergétique, en premier lieu.
Alors que la politique industrielle, au travers des plans industriels, promeut les technologies mobiles et les objets connectés, alors que les usages mobiles se généralisent, tandis que les usages du web sur ordinateur, commencent à régresser, les grandes politiques publiques (santé, éducation, énergie) tardent à prendre la pleine mesure de l’Internet mobile.
Les démarches de e-santé sous-estiment l’apport des applications mobiles et de la nouvelle génération de dispositifs médicaux connectés à la prévention comme au traitement des maladies chroniques. Elles n’ouvrent que très peu d’espaces d’opportunité pour les startups françaises qui travaillent à la mise au point de ce type de solutions.
L’éducation numérique est bâtie avec une colonne vertébrale, les espaces numériques de travail (ENT) dont le schéma directeur remonte à 1999. L’architecture des ENT n’a pas été pensée pour la nouvelle génération d’usages mobiles : elle bride le déploiement des terminaux mobiles et des manuels numériques.
Cette situation rappelle un peu celle des années 94-97 quand les administrations ignoraient superbement Internet, voire tentaient même d’y faire barrage.
Dans un discours marquant, en 1997, Lionel Jospin prenait acte d’un nouveau cycle technologique : il sonnait le glas d’une génération de services en ligne organisée autour du Minitel et enjoignait aux administrations de mettre en œuvre les technologies de l’Internet.
C’est un tournant de même nature qu’il convient d’engager : il s’agit de synchroniser les choix technologiques qui sous-tendent la politique industrielle (mobile, objets connectés, cloud), la modernisation de l’action publique (MAP) et les stratégies numériques sectorielles (éducation, santé, énergie).
Cette difficulté à fixer des orientations technologiques aux administrations tranche avec la situation qui prévaut dans d’autres pays.
Dans le mémorandum qu’il consacrait au “gouvernement numérique du XXIe siècle”, en mai 2012, Barack Obama enjoignait aux agences américaines de mettre en œuvre, dans les 12 prochains mois, une stratégie visant à “permettre a des citoyens américains de plus en plus mobiles d’accéder à des informations et des services numériques de qualité en tout lieu, à tout moment et sur tout type d’appareil”. Cette stratégie numérique se déclinait en une série de recommandations technologiques, formalisées dans une Stratégie fédérale de mobilité.
La stratégie numérique du gouvernement britannique prévoit que les services numériques de l’État devront « être conçus pour fonctionner sur une large gamme d’appareils en particulier mobiles. Quant aux applications natives, liées à une plateforme mobile, elles ne pourront être réalisées qu’une fois le service de base pleinement accessible aux terminaux mobiles”. Elle préconise la généralisation des démarches de “Web adaptatif” (responsive design) ainsi que le recours aux standards ouverts du Web pour les services mobiles, c’est-à-dire HTML5.
La feuille de route numérique du gouvernement gagnerait à être complétée par une feuille de route technologique. A l’intention des directions responsables des systèmes d’information de l’État et des opérateurs publics (c’est en cours) mais aussi et à l’Intention des ministères en charge des politiques numériques sectorielles (santé, éducation, énergie, notamment).
De nature prescriptive, cette feuille de route définirait quelques axes technologiques : prise en compte des terminaux mobiles (mobile first), web adaptatif (Responsive Design) pour le web public, recours aux standards ouverts du Web (HTML5, en premier lieu), logiciel hébergés dans des architectures de type cloud, utilisation et ouverture d’accès aux données grâce à des interfaces de programmation (API) qui permettent notamment d’ouvrir facilement l’accès à des applications mobiles, primauté à l’usage de Briques logicielles réutilisables et standardisées (librairies, code implémenté) qui seraient mises sur des forges logicielles ouvertes de type Github.
Un “Github” Français, permettant aux services l’Etat, des collectivités locales et de leurs partenaires de structurer l’ensemble des librairies et briques technologiques essentielles de la France et accessibles aux développeurs, serait un pas en avant majeur pour notre pays.
3. Promouvoir les développeurs dans l’administration
L’État consacre 3 milliards d’euros au développement et à l’entretien de ses systèmes d’information.
La Cour des Comptes pointe régulièrement, à l’occasion de ses rapports, les faiblesses de l’informatique publique.
“l’informatique est en pratique perçue comme un simple moyen technique devant respecter un environnement réglementaire défini et des délais spécifiques alors qu’il s’agit d’une véritable ré-ingénierie des processus ;
Dans un contexte de maîtrise fragile des fonctionnalités, le recours aux prestataires extérieurs reste trop souvent une source de difficultés additionnelles.
L’administration française peine à déterminer les compétences indispensables à la conduite des programmes informatiques, ce qui la conduit à faire appel à des prestataires privés sur des champs parfois stratégiques, mettant ainsi en péril la réussite du projet et ultérieurement, la maîtrise du produit et de ses évolutions.
Alors que la conduite de projets de cette nature est fortement consommatrice de compétences managériales et d’expertises techniques, ces dernières sont peu disponibles au sein de l’État. Ces expériences professionnelles sont enfin peu valorisées dans les parcours de carrière des intéressés”.
Le gouvernement a entrepris de moderniser en profondeur les systèmes d’information de l’État : il envisage de “renforcer la démarche de mutualisation des infrastructures matérielles et logicielles et de mieux inclure l’innovation dans les démarches projets”. Il s’assigne l’objectif de diminuer la dépense annuelle hors masse salariale de 500 à 800 M€ en 3 à 5 ans sur le périmètre de l’ensemble des ministères (CIMAP de décembre 2013).
Si la maîtrise de la dépense informatique appelle des démarches d’urbanisation (elles sont en cours) et de mutualisation, elle ne progressera guère tant que les projets informatiques seront sous-traités aveuglément à de grandes sociétés de services et à de coûteuses assistances à maîtrise d’ouvrage
Il faudrait cesser de voir chaque projet de développement logiciel comme autonome et non évolutif : les projets devront s’appuyer sur des briques numériques réutilisables et des méthodes de développement agiles.
Les développeurs sont souvent bien placés pour mettre en oeuvre ces nouvelles approches (développement agile, mutualisation) et leur implication dans les choix stratégiques renforcerait l’efficacité de l’action publique. Les administrations gagneraient ainsi à promouvoir des développeurs aux postes de responsabilité pour la conduite des projets numériques.
4. Adapter les conditions d’investissement pour soutenir les projets technologiques
Le financement classique de l’innovation en France n’est pas adapté aux startups disruptives.
Certains entrepreneurs m’ont avoué qu’ils veillaient à rendre leurs projets moins disruptifs pour avoir une chance d’obtenir des rendez-vous.
Les guichets de financement public ont tendance mécaniquement à favoriser les acteurs établis qui en maîtrisent plus facilement la complexité que les startups.
Est-ce que Google, Apple ou Facebook auraient été facilement financés en France ?
La majorité des startups disruptives notamment dans le SAAS (Software as a Service) doivent ainsi trouver leurs premiers clients hors de France. Comme je l’avais noté il y a 7 ans pour Netvibes, il y a une vraie incompréhension des grands groupes sur les technologies de rupture, ce qui entraîne relativement peu d’achats.
La capacité de créer de la valeur par le produit ou par de l’audience, la capacité de construire des modèles de croissance naturels (growth hacking) ne sont que très rarement valorisées dans les décisions d’investissement, qui s’appuient sur des règles très classiques de” business plan” et de chiffre d’affaires sur 3 ou 5 ans.
20 % des projets financés devraient sortir du cadre traditionnel de financement afin d’ouvrir le marché à des startups disruptives.
L’usage de notes convertibles, qui permettent d’obtenir en quelques semaines des fonds qui seront ensuite valorisés lors d’un tour de table plus important , semble être un outil à généraliser dans des domaines où la vitesse d’investissement est primordiale
5. Formation des développeurs
Le ministère du travail recense en France 533 000 informaticiens, employés pour moitié dans les SSII, et pour moitié dans les entreprises utilisatrices. A ces 533 000 informaticiens « reconnus » (titres, diplôme, profil de poste), il convient d’ajouter probablement 800 000 ou 900 000 personnes qui exercent des fonctions qui mobilisent une compétence informatique : paramétrage d’applications, développeurs Web, administrateurs système. Sans compter celles qui exercent une activité dans l’infographie, des métiers graphiques à forte composante logicielle, la conception et l’administration de sites Web.
Malgré ce stock de compétences, des tensions sont perceptibles sur le marché de l’emploi. Les recruteurs ont souvent du mal à trouver des candidats adaptés aux postes à pourvoir. Avec l’émergence d’Internet, de nombreux ingénieurs qualifiés sont affectés à des tâches de techniciens informatiques faute de candidats employables à ce niveau de formation. Ce phénomène engendre une pénurie dans les demandes de postes à haut niveau.
Pour remédier à cette pénurie de talents, il faudra continuer de former des ingénieurs, des profils bac +5 mais aussi des cycles courts : bac+2.
On pourrait aussi mettre en place, en ciblant de manière prioritaire les banlieues, des “écoles du numérique” destinées à des jeunes de 18 à 25 ans “décrocheurs”. Ces dispositifs peuvent s’inspirer de réalisations existantes comme “Web@cademie”, “42" ou “codeacademy.org”…
Nous devrons aussi être capables d’identifier les talents dès l’école primaire en éveillant les élèves à la programmation.
6. Visa de travail pour les développeurs venant en France
Le Président de la République a annoncé la mise en place prochaine d’un un « visa entrepreneur » en vue d’inciter les entrepreneurs étrangers à s’implanter en France, Destiné aux talents étrangers porteurs d’un projet innovant, ce titre de séjour délivré sous condition d’investissement minimal et d’une expertise préalable, bénéficiera d’une procédure accélérée avec des justificatifs simplifiés en préfecture ou dans les consulats. Plusieurs pays ont mis en place ce type de “start-up visa”.
Un dispositif du même type pourrait être mis en place mais à destination, cette fois, des ingénieurs et développeurs étrangers. Il permettrait d’attirer en France l’immigration hautement qualifiée que représentent ces milliers d’ingénieurs, Chinois, Russes ou encore Indiens qui ne parviennent pas aujourd’hui à obtenir de visas pour les États-Unis.
Ces six recommandations réactivent la question du CTO (Chief Technology Officer) : un responsable, au plus haut niveau de l’État, chargé de coordonner la “plateforme technologique France” et de valoriser le pool de technologies et de codes développés en France.