L’actualité du mois de janvier était trop tentante pour passer à côté, voici donc un nouvel épisode spécial loi, société et organisations ! Cette fois Agnès, Audrey et Emmanuel ont demandé à Tariq Krim de les rejoindre pour commenter les conséquences des nouvelles CGU de WhatsApp et le départ en masse de ses utilisateurs et la déplateformisation de Donald Trump. Et comme il y avait beaucoup à dire sur le sujet, on vous en a fait deux épisodes.
Avant-garde numérique
Cybernetica propose une autre vision du numérique pour se préparer au futur qui se dessine (géopolitique, nouvelles conflictualités, IA, cultures synthétiques, économie post-données).
L’actualité du mois de janvier était trop tentante pour passer à côté, voici donc un nouvel épisode spécial loi, société et organisation ! Cette fois Agnès, Audrey et Emmanuel ont demandé à Tariq Krim de les rejoindre pour commenter les conséquences des nouvelles CGU de WhatsApp et le départ en masse de ses utilisateurs et la déplateformisation de Donald Trump. Et comme il y avait beaucoup à dire sur le sujet, on vous en a fait deux épisodes.
Ce mercredi 20 janvier 2021, à l’occasion de la cérémonie d'investiture, Joe Biden devient officiellement le 46è président de États-Unis d’Amérique.
Avec le départ de Donald Trump s’achève aussi la frénésie des tweets présidentiels et un mandat chaotique conclu par la prise d’assaut du Capitole à Washington le 6 janvier, après une mobilisation numérique des pro-Trump. Une journée folle au cours de laquelle s’est produit un autre événement historique : la suspension des comptes de Donald Trump sur les réseaux sociaux.
En conséquence, faut-il s’attendre à voir émerger d’autres réseaux pour chaque mouvance politique ? La modération du contenu numérique doit-elle être prise en charge par les Etats eux-mêmes ? Comment dès lors garantir la liberté d’expression ? Quelle est la situation en Chine ?
Les géants du numérique ont-ils pris le pouvoir ? Pour en parler, Émilie Aubry s’entretient avec Tariq Krim, entrepreneur et ancien vice-président du Conseil national du numérique, et fondateur de polite.one. Il est spécialiste des questions de souveraineté numérique.
Donald Trump, l'homme qui a court-circuité la démocratie grâce aux réseaux sociaux, se voit aujourd'hui banni de Facebook et Twitter, Snapchat et les autres. Que reste-t-il de la souveraineté de l'Etat à l'heure du néo-capitalisme numérique ?
Le 8 janvier : le président sortant des Etats-Unis a été banni de Twitter, où il totalise 88 millions d’abonnés, puis de Facebook -35 millions d'abonnés-, et d’Instagram pour cause de "risque de nouvelles incitations à la violence", et ceci jusqu’à la fin de la transition du pouvoir. Mark Zuckerberg a personnellement annoncé dans un post la décision prise de manière à ce que Trump ne puisse plus "justifier plutôt que condamner les actes de ses supporters au Capitole". Dans la foulée, Snapchat, TikTok, Twitch, Microsoft, Youtube et Reddit ont également suspendu leurs services. Google et Apple, de leur côté, ont retiré de leurs applications la plateforme Parler, censée servir de Twitter alternatif à l’extrême droite, et dont le compte a aussi été fermé par Amazon.
Sitôt connue, la décision des réseaux sociaux a suscitée des commentaires plus qu’alarmistes. "La régulation des géants du numérique ne peut pas se faire par l’oligarchie numérique elle-même" a ainsi commenté Bruno Le Maire sur France-Inter, tandis que le commissaire européen au numérique Thierry Breton la comparait à "un 11 septembre de l’espace informationnel".
Pour la première fois en tous cas, pour préserver la démocratie, un président en exercice voit sa liberté d’expression réduite par les réseaux sociaux. Quelle situation cela crée-t-il ? Quelles perspectives est-ce que cela ouvre ?
Quels mécanismes de régulation ?
On est face à un mouvement opportuniste et tardif et malheureusement, le terme clé, justement : ce n'est qu'une suspension. [...] C'est tout ce système de financement de la politique américaine qu'il conviendrait de revoir qui a eu un fonctionnement quasi-séculier. Bernard Benhamou
Il y a bien un accompagnement de la transition du pouvoir ; en effet, il y a des actes d'allégeance vis-à-vis d'une nouvelle administration. Cela dit, avec l'administration de Biden je ne suis pas absolument certaine qu'elle y ait un retournement idéologique majeur. Asma Mhalla
Un modèle viral
Au-delà même des modèles économiques basés sur la viralité, la fragmentation, les algorithmes de recommandation et donc aussi l'éclatement de ce qu'on appelle une société civile, se pose la question de ce qui amène ce malaise démocratique ? Ce n'est pas en bannissant des plateformes des idées avec lesquelles on est en malaise ou en désaccord qu'on résout fondamentalement le problème.[...] Il y a cette importation du modèle en Europe et en France en particulier. On avait une autre doctrine idéologique de ce qu'était l'État-nation. Cela pose des problèmes politiques et démocratiques majeurs. Asma Mhalla
On ne peut pas laisser le futur de nos démocraties être décidé dans quelques conseils d'administration de sociétés américaines. [...] Il faut se poser la question d'une troisième voie européenne. Bernard Benhamou
Ce que j'appelle aujourd'hui les suprémacistes numériques, ce sont des gens qui pensent que le monde est une équation mathématique qu'il faut optimiser ! Et malheureusement, lorsqu'on souhaite optimiser la démocratie qui est imparfaite -le fait que chacun d'entre nous ait sa propre liberté de pensée- c'est justement peut-être la forme la plus imparfaite d'organisation du monde- doit être changée. Donc ce n'est pas uniquement un combat de technologie mais une véritable vision du monde. Cette idée de mettre de l'intelligence artificielle partout, ça veut dire également : la fin de la pensée. Tariq Krim
Franceinfo : les réseaux sociaux ont-il une responsabilité dans les événements survenus cette semaine à Washington, selon vous ?
Tariq Krim, entrepreneur spécialiste du numérique : On a pu voir au Capitole des personnes avec des drapeaux qui se revendiquaient clairement des groupes extrémistes comme Qanon. Or, on sait que ces groupes se sont construits sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, via l'algorithme de recommandation. Depuis des années, les réseaux sociaux n’ont fait qu'amplifier ces phénomènes.
Y’a-t-il un intérêt économique pour les réseaux sociaux ?
Il ne faut pas oublier que ces réseaux ont un intérêt commercial. Je pense même que l'intense activité de Trump sur Twitter a sauvé cette entreprise du naufrage économique. Les campagnes politiques et la polarisation de la politique, notamment aux États-Unis mais aussi ailleurs, ont eu un impact positif sur les ventes de publicités. L'ensemble des acteurs, comme YouTube, mettent régulièrement en avant les contenus les plus durs et les plus extrêmes pour renforcer cette manne publicitaire.
Autre sujet, la souveraineté numérique. Quelle est votre réaction lorsque Emmanuel Macron dit que la France a 10 ans de retard dans le numérique ?
On ne peut pas dire ça. J'ai trouvé ces propos assez durs vis à vis de la communauté des développeurs français. Évidemment, le cloud américain est en avance mais, faut-il le rappeler, il a été financé à coups de milliards par l'État américain. Par exemple, le contrat de cloud initialement gagné par Amazon a été donné, sur décision de Trump, à Microsoft, ce qui représentait jusqu’à 10 milliards de dollars !
Ce qui nous manque, c'est l'investissement de l'État et des entreprises françaises sur les technologies européennes, de façon à ce que l’on puisse se mettre à niveau. Nous avons d’immenses compétences et il faut seulement plus de temps et d’argent pour développer les mêmes fonctionnalités que celles qui existent sur les clouds américains.
Est-il normal que des acteurs américains soient autorisés à participer au projet de cloud européen Gaïa X ?
Je trouve cela curieux car Gaia X devait être une alternative européenne aux acteurs américains afin de bâtir une forme de fédération de technologies européennes. Or, ce n’est pas le cas. Il y a probablement un problème de confiance.
De nombreux acteurs se disent que c'est peut-être mieux si Palantir ou Microsoft font partie des membres. Pourtant, je pense qu'il faut que nous nous affirmions avec nos propres valeurs, même si cela coûte un peu cher au départ. Comme on l’a vu dans le passé avec des initiatives comme Airbus, cela se rentabilise sur le long terme et apporte de nombreux bénéfices.
Rencontre avec Dominique Boullier, chercheur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po et professeur des Universités en sociologie à Sciences Po. Il est l’auteur de Sociologie du Numérique (Armand Collin) et de Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux (Le Passeur éditeur).
Dans la perspective de la publication de son research paper, sa présentation sera dédiée à l’exploration des concepts de « Territoires à l’ère du numérique » et suivie d’une discussion avec :
- Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté numérique, fondateur du portail ProximaMobile et enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
- Tariq Krim, ancien vice-président du Conseil national du Numérique, fondateur de Netvibes, de Jolicloud et dernièrement de Polite.one, un ensemble d’outils ayant pour but de restituer aux utilisateurs le contrôle de leur vie numérique.
Modération par Dominique Cardon, directeur du médialab de Sciences Po, membre du comité de rédaction de la revue Réseaux, du comité prospective de la CNIL et du conseil scientifique de Wikimédia France.