"C’est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur." Coluche.
Force est de constater qu'aujourd'hui, nous ne pouvons plus échapper à la réalité : notre dépendance en matière de technologie et de défense a fait de l'Europe, mais aussi de la France, une proie facile pour l’administration Trump dans un monde incertain.
L'actualité n'a jamais été aussi chargée, et vous avez été nombreux à réagir et à prendre un abonnement premium à Cybernetica suite à mon dernier article sur l'idée d'un coup d'État numérique. Je vous en remercie.
Nous vivons une période folle. Voici trois idées pour cette semaine et un projet.
DeepSeek a rebattu les cartes de l'IA
D'un côté, DeepSeek remet en cause le modèle économique de certaines plateformes, mais pas toutes.
- Pour OpenAI et Meta, qui sont tous deux en lice pour devenir la première application d'IA grand public dans le monde avec plus d'un milliard d'utilisateurs, leurs coûts de croissance viennent de diminuer fortement.
- Pour Google, Microsoft et Elon Musk, qui ont peut-être acheté trop de GPU dernier cris, ainsi que pour Scaleway, la question à se poser est : aurait-il été préférable d'attendre un peu ?
Ont-ils acheté trop tôt ?
La réalité, c'est que le modèle de DeepSeek représente aussi une opportunité pour les acteurs européens de construire des modèles plus économes et frugaux.
- Comme nous l'avons suggéré précédemment, la distillation de modèles frontière (ce que semble avoir fait DeepSeek avec O1 d'OpenAI) est probablement le modèle économique de 2025, avant l'avènement des agents qui, à mon avis, auront encore du mal à s'installer durablement pour l’instant.
- Vendre de la distillation est peut-être plus profitable que de vendre des accès par API.
C'est le pari que je fais avec mon nouveau studio de produits, que j'annoncerai bientĂ´t.
L'année du chantage au Cloud
La deuxième question qui se pose urgemment est celle du "cloud tariff" : en d'autres termes, une augmentation du prix du numérique. Pour les consommateurs, mais surtout pour les entreprises.
Lors d'un dîner, quelqu'un m'a confié que le CAC 40 réfléchissait en secret depuis trois mois à une alternative à Microsoft Office en cas de coupure.
Depuis plus de cinq ans, et depuis le début de Cybernetica, nous alertons sur le fait que le problème du cloud ne se limite pas à une question de sécurité, il le deviendra encore plus avec des figures comme Elon Musk et Donald Trump au pouvoir, Mais c'est avant tout une question de prix.
J'avais d'ailleurs employé dans l'une de mes tribunes la formule « un gaz de Poutine numérique », c’est-à -dire une technologie indispensable à la productivité générale du pays, mais dont le prix est totalement négociable en raison de nos dépendances.
Les grandes entreprises françaises, ainsi que les institutions publiques censées réfléchir à ces enjeux, au lieu de favoriser une réelle émancipation numérique, ont décidé d'ériger un mur réglementaire.
SecNumCloud, DSA, DMA, NIS2 et DORA, ainsi que d'autres réglementations, ne font que noyer les entreprises, non pas dans l'agilité nécessaire pour trouver des solutions alternatives, mais dans un carcan bureaucratique lourd et paralysant.
Ce que dit le patron de Michelin et, d'une certaine manière, Bernard Arnault, s'applique à toutes les entreprises de la tech, abandonnées en pleine course, écrasées par une réglementation trop pesante, par des initiatives alternatives peu soutenues et par une incertitude grandissante face à l'explosion des coûts.
Rappelez-vous, vous l'avez entendu ici depuis longtemps : l'augmentation des prix chez VMware n'est que le début d'une longue série.
La sécurité politique de l’Europe n’est plus garantie numériquement
Un autre problème majeur est que nous entrons dans une période extrêmement complexe, marquée par la cyber-guerre, la guerre hybride et ce que j'appelle désormais la "narrative warfare”.
Et il n’y a pas que Musk.
Graphika et Google ont récemment publié un rapport Deepfake it till you make it sur les opérations d’influence étrangères, mettant en lumière une campagne chinoise connue sous le nom de Spamouflage. Cette opération d’influence numérique, liée à l’État chinois, a intensifié ses activités et franchi un nouveau cap en appelant directement au renversement du gouvernement espagnol.
Synthèse du rapport :
1. Appel au renversement du gouvernement espagnol
- Spamouflage a usurpé l’identité de groupes de défense des droits humains et a critiqué la gestion des inondations en Espagne.
- C’est la première fois que cette opération appelle directement à la destitution d’un gouvernement étranger.
2. Ingérence dans l’élection présidentielle américaine de 2024
- Des faux comptes ont été utilisés pour se faire passer pour des électeurs américains.
- Ils ont diffusé des messages polarisants visant les deux principaux partis politiques américains.
- L’objectif semble être d’exacerber les divisions internes plutôt que de soutenir un candidat spécifique.
3. Amplification de la propagande sur l’IA chinoise
- Des comptes liés à l’État chinois ont massivement promu le lancement des modèles d’IA de la startup chinoise DeepSeek.
- Cette mobilisation s’inscrit dans une stratégie visant à contester la domination américaine dans le secteur de l’intelligence artificielle.
Nous Ă©voluons dans un environnement cloud sous pression, une IA sous pression, une Ă©conomie sous pression et une politique sous pression. En gros, nous ne pouvons compter que sur nous-mĂŞmes.
Conseil de la Résilience Numérique
C'est pourquoi, après en avoir discuté avec plusieurs membres, j’ai décidé de lancer un Conseil de la Résilience Numérique. Je vous en dirai plus dans une prochaine newsletter.
Cela commencera par un groupe privé, exclusivement réservé à nos membres payants. L’objectif est de réfléchir ensemble aux solutions opérationnelles en échangeant des bonnes pratiques.
Quand il y a un incendie, on ne perd pas son temps à débattre du diamètre des portes coupe-feu. On appelle les pompiers et on tente de sauver ce qui peut l’être.
Beaucoup n'ont pas encore compris que nous sommes au cœur d'un incendie numérique, un super-feu qui pourrait causer des dégâts considérables, voire irrémédiables. Certains le ressentent déjà , mais ont du mal à en parler autour d’eux à des gens qui ne le voient pas. Il faut donc en discuter entre nous.
Nous devons être prêts, même si l’État et les grandes institutions font défaut.
On en reparle bientĂ´t.
Ă€ bientĂ´t sur Cybernetica.