🔴 L'innovation sans création : le piège français
J'ai écouté l'interview de Macron par Micode et j'ai été frappé par ce à quoi la technologie est réduite. Non seulement la tech en tant que technologie est absente, mais elle est simplifiée pour soutenir une forme de storytelling politique.
Macron explique comment une startup de l'IA se crée grâce à des data scientists sans jamais reconnaître qu'elle est avant tout le travail d'un développeur. C'est la compréhension même de l'acte de création qui a été perdue.
Dans les interviews retrouvées, Steve Jobs avait exprimé avec clarté ce paradoxe de la création nouvelle :
« Si vous comprenez comment toute chose est faite, alors vous pouvez la changer. »
L’acte de création a toujours été l’acte le plus important dans la liberté d’une personne ou d’une équipe technique. Créer ne nécessite la permission de personne — et vous oblige à réfléchir à partir d’une page blanche.
Imaginer une architecture, des fonctionnalités, du code, du design : c’est là que tout commence.
Cette dimension est désormais absente du discours sur l'innovation. Il existe trois postures possibles vis-à -vis de la Tech : utiliser, réguler et créer. Dans l'approche française, seules les deux premières sont mises en avant.
Utiliser
La question de l'usage est au cœur de toutes les discussions en France, car elle permet à des non-techniciens de transformer l'informatique en storytelling.
«Il faut utiliser la data pour créer de la valeur.»
Cette phrase vide permet de projeter l'illusion de compréhension d'une révolution qu'on ne maîtrise pas.
Le récit technique disparaît au profit d'un récit d'usage où les créateurs et leur vision d'origine s'effacent au profit des utilisateurs et des "algorithmes", un mot-valise qui fait disparaître ceux qui ont créé une logique dans un produit.
Même dans le logiciel libre, l'auteur disparaît pour faire partie des "Communs", une fosse commune intellectuelle où beaucoup puisent sans jamais mentionner le travail de ceux qui écrivent les programmes.
Réguler
Après l'usage vient la réglementation. On connaît l'adage selon lequel l'Europe ne crée plus, elle régule. Mais pour réguler, il faut comprendre.
La réglementation, la régulation et la conformité sont présentées comme ayant réponse à tout. Pourtant, elles ne résolvent ni le problème de l'usage, ni celui de la sécurité, ni celui de la souveraineté.
Autrefois, un bon administrateur système avait un sixième sens. Aujourd'hui, sa mission est remplacée par une to-do list réglementaire, sans savoir si des techniciens ont vraiment validé ces normes.
La réglementation devient du storytelling : « Si vous utilisez la réglementation cybersécurité, alors vous êtes protégé. » « Si vous avez une certification SecNum Cloud, alors vous êtes souverain. » C'est faux, mais dans un monde où suivre les règles devient plus important que le bon sens, beaucoup capitulent.
Créer
La voie royale en tech, c'est de construire des produits, ce qui est devenu quasiment impossible en France. Aujourd'hui, des acteurs sans compétences sont souvent ceux qui doivent juger les créateurs.
Pour créer, il faut désormais expliquer ce que vous voulez faire à des non-techniciens, et donc perdre un temps fou. De plus, il faut proposer un clone d'une stratégie américaine ou montrer vos diplômes.
À la fin, toute variation doit être expliquée par du storytelling, plus que par du code : « Vous n'avez pas la bonne histoire ? Vous n'avez pas de financement. »
Pas de souveraineté sans builders ni plateformes
Les builders sont devenus invisibles, confondus avec des intégrateurs, absorbés par des couches d'abstraction.
Pourtant, il n’y a pas de souveraineté sans plateforme.
Pas de plateforme sans stratégie technique.
Et pas de stratégie technique sans volonté politique de descendre dans le dur.
L’acte de création technique n’est plus intégré dans le narratif de la construction de notre futur. C’est l’acte lui-même — l’acte d’informatique, de programmation, de building — qui est totalement éludé.
Et c’est donc la capacité d’inventer le futur depuis une page blanche qui est mise en danger.
Le principal ennemi de la France de 2035, c’est la rationalité des décideurs actuels, et l’absence de projets alternatifs à Mistral, qui semble aujourd’hui le seul choix — un projet intéressant, mais qui ne représente pas la seule direction possible.
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