🔴 La vraie disruption n’est plus technologique, mais opérationnelle
- On aime beaucoup parler de disruption en informatique, car c’est ce qui rythme le monde technologique. Contrairement aux idées reçues, le monde numérique adore les « disruptions ».
- Depuis l’arrivée du PC sur les bureaux, nous avons vu émerger Windows, les réseaux d’entreprise, l’Internet, les intranets, le e-commerce, le client-serveur, la business intelligence, le big data, le mobile, l’intelligence artificielle 1.0, le Cloud, et désormais l’IA générative.
- Même si personne ne sait encore comment rentabiliser ses coûts de développement, ses usages pratiques se sont développés très rapidement.
- Les prochaines étapes sont déjà connues : des IA locales dans l’entreprise, des agents pour démultiplier la capacité des collaborateurs, et le Vibe Coding — des outils de « prompt to code » permettant de créer des produits directement utilisables.
Mais chez beaucoup de professionnels, il existe en 2025 un sentiment de malaise, né du fait que le monde vers lequel nous pensions aller a laissé place à un monde dans lequel nous ne souhaitons pas vivre.
Nous avons été disruptés, non par la technologie, mais par la géopolitique.
La vraie révolution du monde numérique n’est pas une innovation numérique.
Pour comprendre le monde dans lequel nous avons été projetés, il est essentiel de mesurer l’impact de trois disruptions géopolitiques, longtemps restées hors du champ de vision de la plupart de nos dirigeants.
1. La rivalité États-Unis/Chine a disrupté les rapports dominant/dominé dans le numérique
- La coopétition qui existait depuis longtemps entre les États-Unis et la Chine s’est transformée en compétition technologique brutale.
Personne ne peut dire exactement quand elle est passée de l’implicite à l’explicite — le hacking de Google en Chine en est probablement le déclencheur. - Les embargos technologiques ont poussé la Chine à développer une autonomie technologique complète et à investir massivement dans des domaines que l’Europe juge encore secondaires : OS, hardware, puces, IA.
- DĂ©sormais, la Chine est un acteur quasi autonome et souverain.
Elle serait en passe de concurrencer les machines de lithographie extrême ultraviolet (EUV) d’ASML.
Si l’Europe veut réellement devenir souveraine technologiquement dans un monde qui ne lui fera plus de cadeaux, elle devra s’inspirer du modèle chinois en formant un vivier solide d’ingénieurs et en avançant plus vite sur des projets logiciels concrets.
2. La boîte de Pandore de la conflictualité informationnelle a été ouverte lors de la guerre en Ukraine
- Ce conflit a obligé la Russie à renforcer ses capacités cyber offensives et à étendre son arsenal de guerre informationnelle.
- Si certains considèrent que le vote du Brexit et les élections américaines de 2016 ont été un test bed pour tout ce qui a suivi, cette stratégie s’est raffinée et surtout étendue au monde de l’entreprise.
- Plus personne n’est à l’abri.
Mais la guerre hybride n’est plus l’apanage de la seule Russie.
- La Chine, de manière plus discrète mais déterminée, a commencé à intégrer cette dimension dans sa stratégie vis-à -vis des États-Unis — curieusement, sans réaction visible de la part des Américains… pour l’instant.
On pense évidemment à l’opération Typhoon Salt, que vous connaissez désormais si vous nous lisez.
- Mais ce qui est nouveau depuis 2025, quand on observe la manière dont Musk agit en Europe, ce sont les prémices d’une forme de guerre hybride qui ne dit pas son nom, et qui embarrasse une partie des alliés européens.
Face à la guerre hybride, il n’y a pas de garde-fous, ni de ligne Maginot possible dans une configuration où les attaques peuvent venir de partout.
3. Le champ de bataille ukrainien, prototype du modèle des factories
- La véritable disruption de la guerre en Ukraine, c’est qu’elle a montré que la guerre — autrefois fondée sur les hommes et la stratégie — ne peut désormais être gagnée que par la collecte, l’analyse et la compréhension des données du champ de bataille.
- Et c’est la collecte, paradoxalement, qui est la partie la plus complexe.
- Ce bouleversement rend une partie de l’industrie traditionnelle de l’armement obsolète, si elle n’est pas connectée à des clouds militaires, et si les armes ne peuvent fonctionner ensemble dans un environnement numérique unifié.
- Évidemment, Peter Thiel et son réseau avaient compris que cette évolution était irréversible — mais ils n’avaient pas de terrain d’expérimentation… jusqu’à l’Ukraine.
- Alors que les alliés occidentaux — n’ayant jamais connu ces nouvelles formes de guerre — vendent des armes traditionnelles (toujours redoutablement efficaces), l’Ukraine — tout comme la Russie, l’Iran, Israël, la Turquie ou encore l’Arménie — a dû inventer de nouveaux modes de combat, adaptés à des armes indigènes et à ces conflits de nouvelle génération.
- Lors d’un passage sur France 24, j’étais avec Yaroslav Azhnyuk, un fabricant de drones ukrainien, qui m’a expliqué à quel point les coûts avaient chuté.
- Aucun pays occidental n’est aujourd’hui capable de produire des drones au niveau de prix Ukrainien.
Car l’innovation ne suffit plus : il faut des drones jetables, faciles à produire, et — grande nouveauté — fabriqués directement sur le terrain, par les opérateurs eux-mêmes.
La factory, un modèle de développement ultra-agile
Le point commun entre la souveraineté chinoise, la guerre hybride russe et l’innovation militaire ukrainienne, c’est le modèle des factories: une itération continue, non-stop, qui est désormais la seule manière efficace de se défendre dans le cyberespace, l’espace informationnel et les théâtres d’opérations.
Les attaques sont devenues permanentes, évolutives. La défense doit suivre la même logique.
Tous les acteurs militaires se posent la même question : le monde qu’ils ont connu n’existe plus. Et ils ne sont pas certains de disposer, en interne, des talents nécessaires pour s’adapter.
Et ce modèle-là inspire désormais aussi le monde numérique qui insère des factories en dehors des zones de combats.
Le concept de “factory”
Une factory représente bien plus qu’une simple équipe agile.
C’est une infrastructure complète — logicielle, matérielle et humaine — conçue pour produire, entraîner, tester, déployer et faire évoluer des systèmes numériques à grande échelle, de manière continue.
On passe de l’agile à l’ultra-agile. (suite pour les abonnés)
Ses principes fondamentaux :