đą La France laboratoire de la Silicon Valley 2.0
Nous sommes en train de voir lâĂ©mergence dâune Silicon Valley 2.0.
La Silicon Valley 1.0 s'appuyait sur la meilleure arme dont disposent les Ătats-Unis, le visa H-1B.
Jâai travaillĂ© dans la Silicon Valley dans les annĂ©es 90. La premiĂšre chose qui mâa frappĂ© a Ă©tĂ© de voir tous les Français et EuropĂ©ens qui y travaillaient. Ce visa a permis de faire venir les meilleurs talents du monde entier, dont de nombreux Français. J'ai eu la chance d'en faire partie.
Aujourd'hui, un gros contingent d'ingĂ©nieurs provient de Chine et dâInde. Ces pays sont soit dans une guerre Ă©conomique dĂ©clarĂ©e avec les Ătats-Unis (Chine) ou dans une logique dâĂ©mancipation technologique (Inde). Il ne reste donc que les EuropĂ©ens (et IsraĂ«l), car les relations avec la Russie (autre gros contingent historique dâingĂ©nieurs) ne permettent plus la libre circulation de ces talents.
Avec le discours protectionniste et anti-immigration de Trump, il fallait faire Ă©voluer le modĂšle : câest la Silicon Valley 2.0.
On ne fait plus venir les ingĂ©nieurs, on les fait travailler dans leur pays dâorigine tout en bĂ©nĂ©ficiant des exemptions dâimpĂŽts (CIR en France), et dans le cas de quelques entreprises Ă fort potentiel, on investit en direct puis on les rachĂšte (DeepMind, peut-ĂȘtre Mistral).
LâAngleterre et la France vont fournir un des gros contingents dâingĂ©nieurs spĂ©cialisĂ©s dans lâIA Ă cette Silicon Valley 2.0 qui ouvre des centres de recherche et utilise les data centers locaux (car lâĂ©nergie est avantageuse en France).
Il y a dâailleurs une bataille entre Rishi Sunak et Emmanuel Macron pour attirer le plus d'investissements Ă©trangers, bataille que la France semble gagner pour lâinstant. LâAllemagne fait aussi les yeux doux, mais sur lâIA, câest vraiment une affaire entre la France et lâAngleterre.
Si vous lisez Cybernetica ou Ă©coutez mes confĂ©rences, vous savez que nous sommes entrĂ©s dans une Ăšre de globalisation et de rĂ©gionalisation de lâInternet. Lâimpact gĂ©opolitique a Ă©tĂ© anticipĂ© par les grandes firmes de la cĂŽte ouest. Pas encore chez nous hĂ©las.
La plupart des entreprises amĂ©ricaines choisissent de ne plus avoir dâactivitĂ©s stratĂ©giques en Chine dans lâIA.
Une partie de la fabrication dâApple bascule au Vietnam, en CorĂ©e et Ă TaĂŻwan, tandis que les Ătats-Unis espĂšrent lancer des puces de derniĂšre gĂ©nĂ©ration avec Intel. LâEurope nâest plus dans la course des puces de derniĂšre gĂ©nĂ©ration (il faut 50 milliards pour ouvrir une usine), mais devient la nouvelle zone de R&D de la Valley sur lâIA, le Quantique et les TĂ©lĂ©coms.
La France est déjà le nouvel atelier intellectuel des prochaines évolutions tech : batteries, IA et quantique.
Lâensemble des Ă©coles dâingĂ©nieurs, Ă commencer par les plus prestigieuses, vont ou ont dĂ©jĂ fait des partenariats avec les grands groupes amĂ©ricains.
Il y a quelques problÚmes toutefois dans cette stratégie.
Tous mes amis me confirment quâavec la baisse du systĂšme Ă©ducatif, nous sommes sur notre avant-derniĂšre gĂ©nĂ©ration dâingĂ©nieurs de trĂšs haut niveau. Cette gĂ©nĂ©ration aurait pu ĂȘtre dĂ©ployĂ©e sur les sujets rĂ©galiens, notamment la DĂ©fense. Mais en travaillant pour les grandes entreprises amĂ©ricaines, ils vont par procuration travailler sur la DĂ©fense amĂ©ricaine. Ils aideront aussi les retraitĂ©s amĂ©ricains Ă garantir leur retraite (grĂące Ă un NASDAQ avec des valeurs florissantes).
Il y a aussi la question des data centers.
Il nây a plus de puissance disponible en Ăle-de-France, ce qui explique peut-ĂȘtre le choix de Mulhouse. Les datacenters amĂ©ricains sont trĂšs consommateurs en eau ; il sera intĂ©ressant de suivre les consĂ©quences pour les habitants de la rĂ©gion. Faut-il rappeler lâexcellence des datacenters dâOVH et de Scaleway, beaucoup plus frugales et a priori plus Ă©cologiques ?
Le vrai problÚme reste la question démographique, un angle mort de nos politiques publiques.
Dans un monde oĂč la dĂ©mographie de certains talents techniques va sâeffondrer en Europe et aux Ătats-Unis, on peut se demander si cette mise Ă disposition de main-dâĆuvre intellectuelle de haut niveau est judicieuse.
Sur le court terme, elle apporte du capital, mais sur le long terme, je ne suis plus sĂ»r que nous aurons la capacitĂ© de faire tourner le pays dans 10 ou 20 ans, car les meilleurs dâune gĂ©nĂ©ration auront travaillĂ© pour rĂ©soudre les problĂšmes de la Silicon Valley.
Est-ce que dans 10 ou 20 ans nous aurons les ingénieurs et les techniciens, cadres et ouvriers capables de maintenir les infrastructures de la France tout en innovant ?
Je ne le sais pas et cette question me terrifie.
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