Je défends un projet différent pour le numérique.
Une alternative au modèle actuel qui n'a pas su bâtir des fondations technologiques durables pour un renouveau technologique.
L’urgence est réelle. Avec un déficit de 3000 milliards, la création de valeur logicielle, la plus rapide à générer, devrait être la priorité.
Pour cela, il faut savoir parler à la tech qui sait faire des choses, et pas uniquement à celle qui achète sans prendre de risques des produits prêts à l’emploi sur étagère, qui renforcent notre déficit commercial abyssal.
La France est un géant du logiciel qui s’ignore et se dévalorise trop souvent. Les fondateurs idéalistes qui veulent changer le monde devraient se voir dérouler le tapis rouge, quelle que soit leur formation et la difficulté de leur projet.
C’est ce que j’avais proposé il y a 11 ans au gouvernement de François Hollande. La secrétaire d’État au numérique de l’époque, Fleur Pellerin, a choisi une vision différente : celle d’une Tech focalisée sur l’aide au financement et la fiscalité (une chose importante à laquelle j’ai beaucoup aidé), mais qui n’a pas su mettre en valeur les personnes qui la bâtissent : les développeurs, les designers et les “builders” de nouvelles classes de produits.
C’est tout le paradoxe de la French Tech : il n’y a jamais eu autant d’argent disponible pour l’innovation, mais parce que les techniciens ont été remplacés par des technocrates, ceux qui ont des idées différentes ou l’envie d’en découdre avec les grandes plateformes préfèrent partir se battre aux États-Unis. Ceux qui ont fait le choix de la France ne sont pas suffisamment soutenus et doivent faire face, comme je l’ai vécu avec Netvibes et Jolicloud, à un mur de scepticisme.
À l’occasion de l’invitation qui m’a été faite par Aurore Lalucq et Raphaël Glucksmann pour parler de numérique lors des Rencontres de Place Publique ce week-end, j’en profite pour partager avec nos abonnés cet article que j’ai publié sur l’excellent site de débat Sans Doute.
J’avais écrit cet article alors que la France se cherchait encore un Premier ministre. Je pense qu’il reste toujours d’actualité.
Redevenir une nation qui compte dans le numérique
Après dix ans de marche forcée au rythme de la start-up nation, il est temps de constater que cette stratégie n’a pas donné les résultats escomptés à l’échelle de l’État, de l’économie ou des citoyens.
La transformation numérique de l’État était censée nous apporter une plus grande simplicité, une plus grande efficacité et une réduction des coûts.
Sur ces trois points, hélas, nous avons échoué.
Au niveau de l’État
Si certains services ont l’apparence de la simplicité, ils ne font que masquer une bureaucratie bien analogique qui montre des signes de faiblesse. Prenons le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité : la simplicité du formulaire en ligne n’élimine pas les délais très importants pour son obtention.
Sur l’efficacité, il y a beaucoup à dire. Contrairement à un pays comme l’Estonie, nous n’avons pas réussi à instaurer une confiance dans les algorithmes. Pour de nombreux parents, un service comme Parcoursup reste un logiciel opaque dont les choix sont souvent contestés.
Enfin, en ce qui concerne les coûts, le discours moderne est contredit par le monstre informatique créé par les grandes SSII, qui dévorent avidement les budgets sans réussir à sortir les produits. Prenons l’exemple du logiciel Scribe, qui aurait dû rendre la Police plus efficace, et qui n’a jamais vu le jour malgré les 12 millions d’euros engloutis par le prestataire.
L’État ne doit pas ressembler à une start-up ; il doit être une horloge suisse numérique, un outil capable de répondre à toutes les demandes avec précision, loyauté et, surtout, la confiance des citoyens. Pour cela, une seule solution : comme pour les JO, il faut y mettre les moyens, fixer des échéances et recruter les meilleurs profils. Des profils avec de vraies compétences techniques.
Pour notre Ă©conomie
Il va falloir accepter que la stratégie numérique consistant à tout miser sur les start-up soit un échec. Tout d’abord parce qu’un écosystème de start-up ne produit qu’un très petit nombre de succès. Ensuite parce que les sorties possibles n’existent pas vraiment en France. Les grandes entreprises du CAC40 ne souhaitent pas, ou ne savent pas, acquérir des licornes, et les sorties ne sont possibles qu’à la Bourse américaine, ce qui ne laisse de chance qu’aux acteurs ayant une vraie stratégie internationale. Beaucoup de ce que nous appelons des licornes sont en réalité des PME technologiques. Avec des marchés locaux et des possibilités à l’export, elles auraient pu bénéficier d’outils financiers adaptés. Les obliger à croître trop vite les fragilise dans un environnement économique dégradé.
Il faut ensuite comprendre que notre dépendance aux GAFAM a plombé notre économie. Entre 20 et 30 % de nos investissements (et de nos profits) sont capturés par ces services incontournables. Depuis 20 ans, à travers mes start-up Netvibes et Jolicloud, mon passage au Conseil national du numérique, et la mission que j’ai réalisée pour le gouvernement, je plaide pour que nous développions des alternatives.
Construire des plateformes alternatives nous donne des options pour l’avenir, car de la culture à la cybersécurité, nous avons tous les talents et le savoir-faire. Ce que nous n’avons plus, ce sont les vecteurs de croissance (mobile, cloud, réseaux sociaux), qui sont tous extra-européens.
La France, avec son histoire numérique, pourrait être le moteur d’une véritable stratégie d’émancipation logicielle en Europe.
Vis-Ă -vis du citoyen
Le rôle de l’État est de protéger l’intégrité numérique de tous ses citoyens. Cela signifie les protéger face aux guerres cybernétiques (cyber) et cognitives (désinformation) et garantir la protection de nos doubles numériques dans le monde de l’IA. D’où l’importance d’un vrai service d’identité numérique qui offre toutes ces protections.
La France n’est pas en retard dans le numérique ; elle a cédé pendant une décennie aux sirènes de la communication. Le choix qui se présente à nous est de revenir dans le jeu en acceptant d’aborder les grands sujets et de mener les grands combats technologiques. Il y a 30 ans, un téléphone mobile sur trois était fabriqué en France, et nous étions le leader des télécommunications. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde numérique créé par d’autres. Il est encore temps de nous réveiller et de relancer nos ingénieurs sur ces projets ambitieux. Car il y a une chose encore plus importante que d’être une nation numérique, c’est d’être une nation qui compte dans le numérique.
Au travail.
Merci de nous avoir lu et Ă bientĂ´t sur Cybernetica.
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