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Une voix différente, une voie différente

Bonne annĂ©e 2024! 

C’est reparti pour une nouvelle série de newsletters et pour décrypter le numérique de l'incertitude.

Autant le prĂ©ciser tout de suite, la newsletter de Cybernetica n’aura rien Ă  voir avec les autres publications que vous pourriez lire sur le numĂ©rique. Il ne s’agira pas non plus ici de faire la synthèse de ce que vous pouvez lire ailleurs. 

Disponible uniquement sur abonnement Cybernetica proposera 6 essais.

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  • Vous Ă©tiez dĂ©jĂ  abonnĂ© Ă  ma prĂ©cĂ©dente newsletter Un autre Web est possible qui Ă©tait hĂ©bergĂ©e sur Revue.co avant qu’Elon Musk ne dĂ©cide de fermer le service.
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Une nouvelle aventure textuelle autour du passĂ©, du prĂ©sent et du futur du numĂ©rique 

L’année dernière, j’ai profité d’un nouveau projet d’IA sur lequel je travaillais pour me replonger dans mes archives (j’ai tout gardé depuis les années 80) et relire tout ce qu’il se disait à l’époque sur l’intelligence artificielle, la cybernétique et la micro-informatique.

L’occasion aussi de me réimprégner de la vision de l’époque — les documents de recherche du Xerox PARC sur la métaphore du bureau, des listings pour Atari et Apple, des manuels de programmation de langages oubliés ou encore des livres fondateurs sur l’intelligence artificielle.

Et de parcourir des caisses entières de DVD et de livres de science-fiction qui gagneraient Ă  ĂŞtre plus connus aujourd’hui des jeunes gĂ©nĂ©rations.  

Le besoin de crĂ©er un  espace pour l'introspection, la rĂ©flexion et la prospective

J’ai eu plusieurs vies numĂ©riques depuis 1982, date de ma première connexion en ligne. Pendant longtemps j’étais le « plus jeune Â» dans cet univers en France. 

Je ne me rendais pas compte de la chance que j'avais d’avoir un modem (et pas juste un Minitel) à la maison. C’est en regardant dans le rétroviseur que je me suis rendu compte que j’avais été témoin d’une période révolue, qui s’est éteinte avec l’émergence de l’Internet commercial.

Une pĂ©riode racontĂ©e partiellement dans le livre The Modem World : A prehistory of Social Media de Kevin Driscoll. 

La pĂ©riode qui suivit, celle de la Cyberculture, un mĂ©lange d’utopie de la Silicon Valley et de visuel Ă  la MTV, a elle aussi Ă©tĂ© effacĂ©e par l’arrivĂ©e d’une culture commerciale Internet grand public. 

Mondo 2000, le magazine de référence de la Cyberculture.

Aujourd’hui, quel que soit le livre sur l’histoire de l’Internet, on rĂ©sume souvent cette pĂ©riode Ă  un chapitre ou quelques phrases: les dĂ©buts utopiques du rĂ©seau. 

N’oublions pas que l’histoire est souvent racontĂ©e par les vainqueurs et que, dans le cadre de la rĂ©volution Internet, les opĂ©rations de communication des gĂ©ants du numĂ©rique ont minutieusement effacĂ© toute les hĂ©sitations, combats d’entreprises ou d’idĂ©ologies de cette pĂ©riode pour la remplacer par un storytelling simpliste, repris en coeur par la plupart des spĂ©cialistes de la technologie en France. 

Après tout, si la jeune gĂ©nĂ©ration savait qu’il existait quelque chose d’excitant avant l’iPhone et la domination du Net par sept entreprises, elle pourrait oser imaginer qu’il existe quelque chose d’autre Ă  construire en dehors de cet univers normĂ©. 

Se battre pour réhabiliter le passé est aussi un combat pour libérer le futur.

Raconter les histoires oubliées du numérique

Ce n’est que très rĂ©cemment que j’ai ressenti le besoin de partager et de raconter ces histoires oubliĂ©es du numĂ©rique. 

Si ma passion pour le numĂ©rique est demeurĂ©e intacte, c’est qu’elle a su s’entremĂŞler avec d’autres passions et une grande curiositĂ©. Des premières modem parties aux premières raves de Burning Man et des docks de San Francisco, de Radio Nova Ă  Davos, j’ai toujours apprĂ©ciĂ© les grands Ă©carts culturels et sociologiques. Avec l’idĂ©e d’observer ces moments avec un regard d’ethnologue du moment prĂ©sent. 

Aujourd'hui le numĂ©rique me semble plus normĂ©. Les confĂ©rences tech se ressemblent presque toutes. Elles Ă©vacuent le mythe et la culture pour laisser place Ă  un univers exclusivement transactionnel. MĂŞme les t-shirts des startups que je collectionnais dans les annĂ©es 90 sont juste devenus un uniforme fade et sans intĂ©rĂŞt. Le symbole d’une allĂ©geance Ă  une mission Ă  laquelle on ne croit plus vraiment. 

La startup est-elle encore un projet rebelle?

Si je suis plus critique du monde numĂ©rique aujourd’hui, c’est que je le trouve beaucoup moins entrepreneurial qu’il y a 15 ans. 

  • Avant, les startups Ă©taient le chemin le plus risquĂ©, le moins compris ; aujourd’hui c’est la voie royale. 
  • Avant, l’innovation se bricolait dans les garages ; aujourd’hui elle vient des labos des Big Tech, qui contrĂ´lent tous les outils, ne laissant que très peu de marges de manĹ“uvre aux entrepreneurs qui veulent encore changer le statu quo. 

Mais curieusement, tout cela est peut-ĂŞtre dĂ©jĂ  en train de changer. 

Survivre à l’innovation et l’innovation pour survivre

Pendant la guerre en Ukraine, des petites start-ups se sont mises à construire des produits impensables cinq ans plus tôt. Des produits utilisés en combat réel qui n’auraient jamais pu passer les règles de conformité ou les appels d’offre de l’OTAN, ringardisant ainsi les constructeurs historiques du monde militaire.

Lors d’une visite au salon du Bourget, j’étais impressionnĂ© par la dĂ©monstration de force de la Turquie qui mettait en scène ses drĂ´nes. Rien ne correspondait Ă  ce que j'imaginais d’un monde militaire dominĂ© par les grandes entreprises de dĂ©fense. 

En trois conflits (Haut Karabagh, Ukraine, Moyen Orient) la guerre a totalement changĂ© de visage. Ce que l’on appelle dĂ©sormais la « Defense Tech Â» a dĂ©jĂ  vĂ©cu en deux ans autant d’innovation que le mobile en 15 ans.

La personne qui m’a orientĂ© sur cette piste est Palmer Luckey, l'Ă©nervant fondateur d'Oculus qui s’est lancĂ© avant tout le monde sur ce secteur avec Anduril. 

L’une des raisons des progrès rapides dans ce secteur, c’est que contrairement aux marchĂ©s de la technologie classique , il n’y a pas de plateformes monopolistiques pour imposer des règles ou limiter son dĂ©veloppement. 

Le besoin de survivre est aussi un excellent stimulant pour la disruption.

DĂ©sormais, il suffit de bricoler des drones reçus de Taiwan pour crĂ©er les bombes de demain. Il suffit d’un serveur Edge et d’un Starlink pour crĂ©er des rĂ©seaux tĂ©lĂ©phoniques 5G jetables et Ă©chapper aux brouillages et Ă  la surveillance de l’armĂ©e Russe. 

Mais aussi, parce que la guerre n'a pas les mêmes règles de droit, elle est un moyen idéal pour tester tout ce qui ne serait pas acceptable en temps de paix dans nos démocraties libérales.

Par exemple, l’usage immodĂ©rĂ© de la reconnaissance faciale sur les cadavres, ou la lĂ©talitĂ© autonome des drones kamikazes. 

Toutes les entreprises qui ont des problèmes réputationnels, comme Clearview AI ou Palantir, se sont fait une nouvelle virginité sur les terrains de guerre ukrainiens où elles sont accueillies en héros. Nous en parlerons lors d’une prochaine newsletter pour nos abonnés.

Le risque gĂ©opolitique, une contingence absente de la politique numĂ©rique française 

Face Ă   l’augmentation du risque gĂ©opolitique, c’est une autre politique numĂ©rique qu’il faudrait mettre en Ĺ“uvre en France, avec des arbitrages plus courts et des processus de sĂ©lection des financements moins classiques. Les grands objets de financement comme la BPI et France 2030 sont en train de s’en rendre compte. 

En acceptant de vivre sous la domination des Big Tech, et en augmentant la bureaucratie normative au niveau de l’Europe, nous sommes peut-ĂŞtre en train de passer Ă  cĂ´tĂ© de notre meilleur atout : inventer le futur sans les règles stupides ou injustes des grandes plateformes. 

La pĂ©riode du Covid aura Ă©tĂ© un modeste appel d’air qui nous a permis de d'entre apercevoir le potentiel crĂ©atif en France. Une parenthèse vite refermĂ©e, hĂ©las. 

Un changement qui aurait été pourtant bienvenu au moment où nous affrontons un monde bien plus complexe.

Comprendre le monde qui vient 

Pour comprendre le monde qui vient, j’ai mis en place depuis assez longtemps une grille d’analyse sur laquelle je vais aussi m’appuyer pour Cybernetica. 

Ma grille d'analyse.

Ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours essayé de proposer des analyses différentes face au prêt-à-penser du numérique qui domine les débats et les décisions politiques en France.

Ma façon de voir les choses n’a pas vraiment changĂ© après toutes ces annĂ©es.  

Le numérique transforme le monde, les politiques publiques et nos cultures. Mais ceux qui en profitent le plus sont ceux qui construisent les outils, pas ceux qui les utilisent.

La notion de souverainetĂ© numĂ©rique est avant tout liĂ©e Ă  la crĂ©ation de ses propres outils. Un savoir-faire logiciel tout Ă  fait abordable, dès lors qu’on accepte de financer des acteurs diffĂ©rents et de mettre les moyens lĂ  oĂą c’est très risquĂ©.  

Si on arrĂŞte de le faire, on perd sa capacitĂ© Ă  construire le futur. 

Et on commence Ă  utiliser le futur des autres. 

C’est un peu ce qu’a fait la France après la parenthèse du Web 2.0 en embrassant les services des GAFAM. 

Adulée pendant quelques années, ma génération d’entrepreneurs a rapidement été mise à l’écart pour donner naissance à la French Tech et la startup nation, une version institutionnelle du numérique à la française.

Je n’ai jamais Ă©tĂ© vraiment Ă  l’aise dans ce discours performatif qui, Ă  mon avis, n'a pas su prĂ©parer la France aux vĂ©ritables dĂ©fis du 21ème siècle. J’ai rapidement senti que le discours que je portais ne cadrerait pas vraiment avec la vision officielle. Enfin, c’était vrai jusqu’au Covid et au retournement complet de discours.  

C’est d’ailleurs le grand paradoxe de la startup nation et de la nouvelle politique europĂ©enne. Ce sont ceux qui ont le plus dĂ©sindustrialisĂ© qui sont dĂ©sormais Ă  la tĂŞte de plans de rĂ©industrialisation et de reconstruction. 

Et ce sont ceux qui abhorraient l’idĂ©e d’une souverainetĂ© numĂ©rique qui en sont aujourd’hui les principaux dĂ©fenseurs. 

J’ai senti un changement. Comme par exemple recevoir un coup de fil de l’ÉlysĂ©e pour me demander les slides d’une de mes confĂ©rences  pour un Conseil de DĂ©fense. 

Ă€ croire que certaines de mes prĂ©dictions n’étaient pas si mauvaises que cela. 

Construire en 2024 une résilience créative

C’est pour partager Ă  un plus grand nombre d’acteurs que j’ai dĂ©cidĂ© de prendre le temps d’écrire cette newsletter. 

Et c’est parce que je ne suis pas le seul Ă  vouloir comprendre comment le monde Ă©volue que je monte le think tank en parallèle. 

Depuis le premier volet de ma trilogie sur la souverainetĂ© numĂ©rique, Comment la France s’est vendue aux GAFAM, j’ai dĂ©couvert que beaucoup de gens, notamment au sein de l’État, partagaient mon analyse. Je suis allĂ© Ă  leur rencontre. 

Que ce soit dans monde de la technologie, de la sĂ©curitĂ© informatique mais aussi dans le militaire et la sĂ©curitĂ© civile, j’ai dĂ©couvert des centaines d’acteurs dĂ©vouĂ©s, compĂ©tents. Tous sont capables d’apporter de l’expĂ©rience et de la sĂ©rĂ©nitĂ© face au bruit chaotique de ces dernières annĂ©es. 

Cybernetica sera je l’espère un point de rencontre pour faire Ă©merger ce nouveau leadership. 

J’ai toujours apprécié débattre avec des gens qui ne sont pas forcément d’accord avec moi, mais j’ai décidé de ne le faire désormais qu’avec ceux qui partagent la même croyance ;

Nous ne reviendrons pas au monde d’avant le Covid. Ni Ă©conomiquement, ni technologiquement, ni gĂ©opolitiquement. 

Nous sommes entrĂ©s dans l'inconnu, et il faut l’accepter humblement. 

La sagesse du monde ancien 

J’aime réécouter cette prédiction du journaliste anglais Rex Malik dans cette émission de la BBC en 1982.

Sa vision prĂ©monitoire du monde fait forme d’avertissement. En 1975 il avait Ă©tĂ© le seul Ă  avoir le courage de critiquer la toute-puissante sociĂ©tĂ© IBM. Reine de Wall Street, personne n’était capable d’imaginer la fin de son règne. Malheureusement dĂ©cĂ©dĂ© en 1992, il n’aura pas eu le temps de voir sa prĂ©monition se rĂ©aliser une dĂ©cennie plus tard. C’est aujourd’hui son prestataire logiciel de l’époque, Microsoft qui est la sociĂ©tĂ© la plus valorisĂ©e de l’histoire. 

Nous sommes quelques-uns Ă  avoir imaginĂ© la fin de l’Internet tel que nous l’avons toujours connu. 

J’ai fait cette prĂ©diction il y a quatre ans, et chaque annĂ©e je constate et documente dans ma prĂ©sentation annuelle The State of the Splinternet les progrès dans cette direction. 

Et maintenant oĂą va-t’on ? 

C’est un secret de polichinelle, tout le monde se prépare à un monde compliqué. Je dînais il y a quelques mois avec l’un des patrons d’une des plus grandes entreprises de technologie en Europe, et il me disait que s’il ne le disait pas publiquement pour ne pas affoler ses actionnaires et ses clients, il se préparait en interne pour cette éventualité.

2024: Au cœur de la décennie incertaine

A boy and his dog, une dystopie de fin du monde sortie plusieurs annĂ©es avant Mad Max (1975) avait Ă©tĂ© traduite en France par Apocalypse 2024. Un clin d'Ĺ“il. 

Le dĂ©but de l’annĂ©e est toujours propice aux grandes prĂ©dictions. 

La majorité des analystes que j’ai entendus sont guère optimistes sur ce nouveau cru. Ian Bremmer s'est même inspiré de Harry Potter pour décrire 2024 comme une année Voldemort, ou année que l'on ne doit nommer.

Carte des conflits de 2024 (source L’express)

Mais 2024 semble ĂŞtre une annĂ©e difficile parce qu’elle fait suite Ă  une fin d’annĂ©e 2023 catastrophique. Il pourrait pourtant y avoir des lueurs d’espoir. La victoire du parti au pouvoir Ă  TaĂŻwan est un signe bienvenu de stabilisation. 

La bonne façon de regarder 2024 est de l’inscrire au cĹ“ur de la dĂ©cennie, une dĂ©cennie incertaine qui a dĂ©marrĂ© par la crise du Covid et qui ne semble pas faiblir en termes de disruption depuis. 

La plupart des Ă©vĂ©nements (Moyen-Orient, pandĂ©mie) Ă©taient pourtant prĂ©visibles, mĂŞme s’ils ont eu la mauvaise idĂ©e d'arriver l’un après l’autre. 

Le véritable cygne noir, c’est l’arrivée et l’intégration de l’IA générative et des modèles non-déterministes dans nos logiciels courants.

Depuis l’implĂ©mentation rĂ©ussie de ChatGPT, l’IA a pris une ampleur qu’on aurait eu du mal Ă  imaginer auparavant. IntĂ©grer des modèles non-dĂ©terministes, c'est-Ă -dire imprĂ©visibles dans leurs rĂ©ponses, dans des pans entiers de notre sociĂ©tĂ©, sans prendre le temps d’en comprendre les effets Ă  moyen terme, est inĂ©dit. 

Car au-delĂ  de la technologie elle-mĂŞme, c’est surtout l'introduction d’idĂ©ologies nouvelles et parfois toxiques dans la dĂ©cision publique. L’IA et la vision du futur qu’elle pourrait imposer est la nouvelle bataille politique de la dĂ©cennie. Nous en parlerons dans une prochaine newsletter. 

L’IA est un besoin vital pour notre avenir. 

Non pas parce qu’il va permettre aux lycéens et aux consultants de McKinsey de passer moins de temps à écrire leurs présentations, mais parce qu’elle pourrait amoindrir les effets d’une démographie vieillissante dans une partie du monde et devenir le partenaire culturel d’une jeunesse qui veut rompre avec la continuité du monde de l'après-guerre.

Automatiser le monde trop vite, un hĂ©ritage malsain de la gĂ©nĂ©ration des  baby-boomers

Le plus fascinant avec la gĂ©nĂ©ration des Zoomers (ou gĂ©nĂ©ration Z) aux États-Unis, c’est que c’est la plus petite gĂ©nĂ©ration Ă  entrer sur le marchĂ© du travail. Elle arrive au moment oĂą les baby-boomers partent Ă  la retraite et retirent leurs Ă©conomies. Ce qui de facto nous oblige Ă  croire plusieurs choses : 

  • Que la bourse amĂ©ricaine sera forcĂ©ment affectĂ©e.
  • Que l’argent qui fait tourner l’économie va venir d’ailleurs, et qu’il aura une autre orientation Ă©conomique. 
  • Que nous entrons dans un monde oĂą le capital n’aura jamais Ă©tĂ© aussi peu cher qu’il ne l’est aujourd’hui. 
  • Que le marchĂ© de l’emploi n'aura jamais Ă©tĂ© aussi grand qu’il ne l’est aujourd’hui. 

C’est au moment prĂ©cis ou s’entrechoque le passage de tĂ©moin entre deux gĂ©nĂ©rations incompatibles culturellement que l’IA gĂ©nĂ©rative a dĂ©cidĂ© d’entrer dans nos vies. 

C’est aussi le moment oĂą beaucoup d’employeurs doivent faire face Ă  une pĂ©nurie durable de talents, mais aussi de vocations. 

Remplacer les gens par des machines ou par du logiciel, aussi intelligent soit-il, fera aussi chuter la consommation et donc la production de matières premières. 

Nous entrons peut-être aussi dans un monde où les produits phares des baby-boomers vont disparaître, à commencer par la viande comme l’explique cette étude

Le marchĂ© des boissons alcoolisĂ©es, l’une des industries les plus importantes de la France et de l’Europe, sera aussi affectĂ©. 

Chaque pays ne sera pas touchĂ© de la mĂŞme manière. La France se tient pour l’instant grâce Ă  sa natalitĂ©, l’Allemagne est dĂ©jĂ  dans le rouge depuis les annĂ©es 80. 

Les Éats-Unis, qui vont bĂ©nĂ©ficier de la proximitĂ© du Mexique, ont encore de beaux jours devant eux. 

La Chine est dans une situation compliquée et il n’est plus vraiment possible d’obtenir des chiffres fiables. Sa main-d'œuvre est devenue l'une des plus chères d’Asie, ce qui explique le choix du Vietnam pour de nombreuses marques de technologie.

Ce qui la protège pour l'instant, c'est l’investissement colossal en infrastructure que l’Ouest a fait pendant 50 ans pour en faire l’usine du monde. Un investissement qu’aucun pays voisin ne sait faire. 

Ă€ l’heure oĂą tout le monde regarde son bilan dĂ©mographique et ses changements de population, la question des stratĂ©gies d’automatisation et de maintenance des infrastructures pour lesquelles la main-d'Ĺ“uvre qualifiĂ©e va manquer se pose partout. 

Faut-il encore rappeler que nous avons dĂ» faire venir d'AmĂ©rique du Nord des soudeurs spĂ©cialisĂ©s pour rĂ©parer nos centrales nuclĂ©aires, en arrĂŞt contraint, alors que la guerre en Ukraine avait fait exploser le prix de l’énergie ?  

Comme je l’ai dit plus haut, la question de l’automatisation est surtout une affaire d’idĂ©ologie. 

La radicalisation de l'âge d’or de la science-fiction

Une idĂ©ologie qui reprend les points les plus sombres de la science-fiction et qui les repackage comme une vision viable pour l’humanitĂ©. 

D’un cĂ´tĂ©, il y a des entrepreneurs du numĂ©rique comme Elon Musk et Peter Thiel qui imaginent un monde occidental entièrement automatisĂ© qui pourrait s’extraire du monde global et vivre en autonomie, laissant le sud comme un vaste champ d’exploitations de terres rares et de main-d'Ĺ“uvre semi-automatisĂ©e et corvĂ©able Ă  merci. Un environnement qui serait protĂ©gĂ© de l’extĂ©rieur par une nouvelle armĂ©e technologique autonome et de l'intĂ©rieur par de nouveaux mĂ©canismes de surveillance ultra performant. Faut-il rappeler que l’équivalent civil des drones militaires utilisĂ© en Irak et en Afghanistan pouvait survoler certaines manifestations sur le sol amĂ©ricain. 

Black Lives Matter Protests Under Aerial Surveillance
Black Lives Matter protests have captured the news media’s attention lately. Governments have also been observing these mass movements using sophisticated surveillance technology usually reserved for military applications. Chloé Ketels unpacks some of the ethical implications of governments’ utilization of this technology for domestic security purposes.

De l’autre la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient et une partie de l’Afrique, qui espèrent que l’automatisation et l’intelligence artificielle seront les outils d’un basculement du monde en leur faveur. 

L’Europe comme la France sont pleines de bonnes intentions mais semblent totalement dĂ©passĂ©es. 

La bataille des idéologies

Il n'existe pas qu’une mais de nombreuses thĂ©ories sur les Ă©volutions de l’IA et de la technologie. Les plus populaires ont Ă©tĂ© mises en avant par la chercheuse en IA Timnit Gibru sous l’acronyme TESCREAL. 

TESCREAL pour transhumanism, Extropianism, singularitarianism, cosmism, Rationalism, Effective Altruism, and longtermism

Cela fait plus de 30 ans que je suis l’évolution de ces idéologies sur les BBS et sur les réseaux. Elles changent parfois de nom et sont désormais adoptées par une partie de l’alt-right américaine.

Le grand public ne les a découverts qu’à la suite de la tentative ratée de congédier Sam Altman d’OpenAI

Leur point commun, c’est qu'elles sont essentiellement californiennes. Face Ă  elles il y a les travaux de la cybernĂ©tique sociale qui ont Ă©tĂ© l'inspiration du CrĂ©dit Social en Chine. 

Mais l’Europe est-elle vraiment absente de ce combat idĂ©ologique ? Bien au contraire ! 

Continuer à défendre une vision humaniste de la Tech européenne ?

La vision fragile mais rĂ©elle d'une technologie Ă  l'europĂ©enne reste celle qui a offert le Web et Linux au reste du monde. Une vision humaniste et politique qui s’est au dĂ©but des annĂ©es 80 surtout exprimĂ©e entre l’Allemagne et la Hollande, avec ses groupes de hackers lĂ©gendaires. Mais aussi dans les labos de toute l’Europe qui ont souvent imaginĂ© un futur ouvert et capable de donner une prioritĂ© aux humains. 

Mais une vision qui n’est plus dĂ©fendue en Europe. 

Il y a quelques semaines, il aurait fallu faire les gros titres de la presse sur le dĂ©cès de Niklaus Wirth, l’un des pionniers de cette informatique humaniste europĂ©enne et l’inventeur notamment du langage Pascal et le crĂ©ateur du Lilith, machine en avance sur son temps. Rien dans la presse gĂ©nĂ©raliste. 

Aucune mention de Niklaus Wirth dans la presse française, pourtant toujours prĂŞte Ă  dĂ©crire dans les dĂ©tails les dernières frasques d’Elon Musk. 

Prendre le temps de parler de ces héros inconnus de la Tech européenne

Ces hĂ©ros dont le nom a Ă©tĂ© effacĂ© des mĂ©moires collectives sont d’une certaine manière l'exact contrepoint de la vision des ingĂ©nieurs star de l’IA de la Silicon Valley, qui promeuvent une vision du futur dĂ©nuĂ©e de poĂ©sie et humanisme. 

Petit croquis que j’ai fait du Lilith, le jour de la mort de Niklaus Wirth. 

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