🟱 2024 au cƓur d'une dĂ©cennie incertaine (newsletter 1)

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Prologue

La dĂ©cennie actuelle est un plongeon dans l’inconnu. Tout pousse Ă  croire que l’Internet, cette expĂ©rience collective qui a rythmĂ© nos vies ces trente derniĂšres annĂ©es, touche Ă  sa fin. Mais remplacĂ© par quoi ? Et dans quel laps de temps ? 

C’est pour trouver des rĂ©ponses Ă  ces questions que j’ai lancĂ© Cybernetica.fr, tout en continuant à  dĂ©fendre une vision humaniste et rĂ©aliste du numĂ©rique. 

Il y a 4 ans, alors que la plupart des gouvernements, des groupes d’influence et de nombreux think tanks pariaient sur un retour au monde d’avant, j’ai fait le choix de faire le deuil de l’Internet que nous avons toujours connu. Pour se projeter entiĂšrement dans ce futur incertain, aux rĂšgles non Ă©crites et qu’il n’est pas toujours facile d’accepter.

Le fruit de ces rĂ©flexions a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ© dans 6 essais qui ne seront accessibles qu’à nos abonnĂ©s. Une lecture dense, riche et la plus sĂ©rieuse possible pour analyser ensemble l’ampleur de cette transformation vertigineuse du monde.

Introduction

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaßtre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Antonio Gramsci

1. Techno-optimisme

Depuis mes premiers pas sur le rĂ©seau, en 1982, j’ai toujours adhĂ©rĂ© Ă  une vision optimiste et enthousiasmante de l’informatique. 

Un sentiment dĂ©cuplĂ© lorsque je me suis retrouvĂ© dix ans plus tard au cƓur de la Cyberculture.  

Ce sont les débuts du Metaverse (inspiré par le roman Snow Crash sorti en 1992), l'apogée du Cyberpunk et le test des premiers casques de réalité virtuelle en démonstration à la fondation Trois Suisses (1993) à Paris.

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J'ai testé la réalité virtuelle sur ce modÚle.

La Cyberculture, en France, attire surtout une avant-garde d’artistes qui viennent du monde du graphisme numĂ©rique. Pour trouver l’approche culturelle et technologique qui me convient le plus, il me faudra aller en Californie, au cƓur du rĂ©acteur de la rĂ©volution Cyberdelics.

Si le futur n’est pas uniformĂ©ment distribuĂ©, il s’est Ă©normĂ©ment concentrĂ© Ă  San Francisco.

En 1993 c’est l’annĂ©e de la dĂ©couverte pour moi d’un monde nouveau : le lancement de Wired, l’expĂ©rience de Burning Man et des conversations passionnantes avec mes “nouveaux amis” californiens : John Perry Barlow (dont je suis restĂ© trĂšs proche jusqu’à sa mort), Bruce Sterling, Howard Rheingold, Timothy Leary, Kevin Mitnick ou encore le trĂšs secret Hakim Bey. 

L’autre publication Cyber-situationniste de rĂ©fĂ©rence est Mondo 2000, qui, avec le recul, Ă©tait beaucoup plus rebelle que Wired, trop proche des corporates.

Ayant eu la chance de revenir travailler, trois ans plus tard dans la Silicon Valley au moment oĂč elle invente les premiers navigateurs web et pose les prĂ©mices du Cloud (Network Computer and JavaOS), je me demande parfois si les annĂ©es 90 n’ont pas Ă©tĂ© le meilleur cru de cette rĂ©gion qui a vĂ©cu tant de rĂ©volutions successives. Quasiment tous les fondamentaux de ce que nous vivons aujourd’hui se sont inventĂ©s Ă  ce moment-lĂ . 

Pattie Maes, mon Ă©gĂ©rie de l’Intelligence Artificielle au MIT, formalise le concept d’agents intelligents autonomes (une vision qui sera prĂ©sentĂ©e deux dĂ©cennies plus tard Ă  Ted avec l’interface Sixth Sense). Lors d’un rare passage Ă  Paris, elle me confiait d’ailleurs que la question de l’éthique de l’IA n’était pas dans leurs conversations Ă  l'Ă©poque. L’idĂ©e mĂȘme que la technologie puisse ĂȘtre utilisĂ©e pour autre chose que le bien de l’humanitĂ© semblait impensable. 

C’est ce que j’ai Ă©galement ressenti avec le Web 2.0 qui a donnĂ© une visibilitĂ© internationale Ă  mes produits et Ă  mes startups (netvibes et Jolicloud). 

Couverture du Guardian (2006) avec les principaux fondateurs du Web 2.0 (Netvibes, Flickr, Google Docs, Twitter, Wikipedia, Digg, Delicious, Craiglist, Last FM et Wordpress). Je suis à cÎté de Sam Schillace et son pull rouge (créateur de Writely devenu Google Docs).

NĂ© de la tentative ratĂ©e par Microsoft d’imposer son navigateur Internet Explorer sur tous les ordinateurs Windows, le Web 2.0 nous a donnĂ© le sentiment qu’aucun monopole ne pourrait rĂ©sister Ă  l’utopie originelle d’un web ouvert et accessible pour tous. Un sentiment naĂŻf auquel nous avons pourtant voulu croire de toutes nos forces. Y compris par ceux dont la sociĂ©tĂ© avait Ă©tĂ© rachetĂ©e par Google, Yahoo ou Ebay.

2. Vibe Shift 

AprĂšs les attentats de novembre 2015, qui m’ont touchĂ© personnellement, je me suis beaucoup questionnĂ© sur l’influence nĂ©gative des rĂ©seaux sociaux et de l’Internet dans l’évolution de notre monde. 

Mes positions assez pessimistes , Ă  l’époque, sont vraiment Ă  l’opposĂ© du discours ambiant.  

Mais plus j'avançais dans mes recherches, et plus je me rendais compte que nous étions dans une trajectoire de collision inéluctable entre : 

  • Des plateformes qui avaient totalement saturĂ© notre capacitĂ© d’attention en nous obligeant Ă  consommer une culture algorithmique, mondialisĂ©e et dĂ©sincarnĂ©e.
  • Des populations qui, de par le monde, exprimaient Ă  travers leur vote ou leurs positions un rejet important de cette globalisation implacable et dĂ©nuĂ©e de sens.
  • Des États opportunistes qui avaient trouvĂ© dans les rĂ©seaux sociaux l’ultime outil pour mener leurs opĂ©rations psychologiques ou PsyOps. Une façon de diviser et de semer le trouble sans avoir Ă  faire la guerre, disait le philosophe Jacques Ellul.
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Bonus abonné: Cet article de CNN rappelle que les opérations psychologiques ont toujours existé; elles ont juste trouvé, avec le numérique, un terreau fertile. 

Ce qui m’avait choquĂ© Ă  l’époque, c’est que plusieurs des terroristes du 13 novembre avaient Ă©tĂ© radicalisĂ©s via les rĂ©seaux sociaux. Comme cela a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© par la suite dans un livre, l’État Islamique, pour amĂ©liorer son recrutement, s’était fortement inspirĂ© des techniques de communication virale de la chanteuse Taylor Swift. 

La boßte de Pandore s'était ouverte. Plus de retour en arriÚre possible. 

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Bonus abonné: Résumé du livre.

3. L’ùre du vote algorithmiquement manipulĂ©

Pour un Ɠil aguerri, le Brexit, l'Ă©lection de Trump et tout ce qui a suivi Ă©taient parfaitement prĂ©visibles. En introduisant quelque chose de totalement nouveau dans nos vies - l’intimitĂ© computationnelle ou la mise en algorithme de nos vies intimes - le mobile et les applications ont fait de notre relation Ă  la vĂ©ritĂ© la principale victime. 

Le choix de montrer certains contenus à certains moments de la journée change nos humeurs. Cela impacte forcément la stabilité émotionnelle des utilisateurs de ces réseaux. 

Des utilisateurs qui sont aussi des citoyens. 

On aura mis beaucoup de temps à rembobiner le film. Encore plus à étudier sérieusement ces mécanismes de prise de contrÎle algorithmique des précédentes élections. 

En Angleterre, une majorité de contenus manipulés en faveur du Brexit sont restés invisibles du régulateur et de la presse, des mois, voire des années aprÚs les élections. 

Les rĂ©seaux sociaux, pourtant toujours prompts Ă  expliquer Ă  leurs annonceurs qu'ils savent tout de leurs utilisateurs seconde par seconde, semblent avoir Ă©tĂ© victimes d’une forme d’amnĂ©sie dĂšs qu’on leur a demandĂ© des comptes.

Les États qui ont mis en place des opĂ©rations d'ingĂ©rence ont Ă©tĂ© surpris par la facilitĂ© avec laquelle on pouvait dĂ©clarer une guerre cognitive Ă  grande Ă©chelle par l’injection d’émotions nĂ©gatives dans les populations cibles. L’équipe de Trump a d’ailleurs uniquement suivi les instructions des Ă©quipes “embedded” de Facebook.  

Mais depuis l’élection de Biden, et surtout aprĂšs l'insurrection du Capitole, c’est beaucoup plus difficile. Facebook a investi Ă©normĂ©ment pour s’assurer de ne plus ĂȘtre accusĂ© de nĂ©gligence. C’est beaucoup moins vrai de TikTok, une plateforme inoffensive Ă  l’extĂ©rieur, mais qui n’a aucun souci Ă  exposer les plus jeunes Ă  des contenus qui mĂ©riteraient au minimum une supervision des parents. Regardez la timeline de story ci-dessous. 

Cette simulation par un bot des vidéos vu par un jeune de 13 ans sur TikTok a de quoi effrayer. 

Le sujet des ingĂ©rences dans les Ă©lections mĂ©riterait une vĂ©ritable analyse en profondeur. Il est traitĂ© avec lĂ©gĂšretĂ© par la presse, comme par exemple avec le traitement simpliste de l’affaire Cambridge Analytica. 

Il y a quelques mois, Ă  la demande de l’IHEDN, j’ai acceptĂ© de modĂ©rer une des confĂ©rences du Paris Defence and Strategy Forum organisĂ© Ă  l’École de Guerre.

Paris Defence and Strategy Forum (Photo Loïc TrégourÚs)

Devant un parterre d'officiers et d’analystes militaires, plusieurs experts du sujet (ArmĂ©e française, OTAN, Science Po) nous ont dĂ©crit les derniĂšres techniques d'ingĂ©rence. La question de l’utilisation des vulnĂ©rabilitĂ©s du cerveau humain a Ă©tĂ© Ă©galement dĂ©cryptĂ©e par une mĂ©decin Chef de l’ArmĂ©e.

Une occasion pour moi de prendre conscience que les sujets d'ingérence sont là pour durer.

La crĂ©ation de Viginum est un premier pas, mais cette agence doit trouver la bonne distance et le bon Ă©quilibre vis-Ă -vis du gouvernement pour ĂȘtre totalement crĂ©dible dans ses recommandations, qui sont accueillies avec mĂ©fiance par certaines formations politiques. 

Nous avons baissĂ© en vigilance par rapport Ă  l’époque de la guerre froide oĂč le sujet des ingĂ©rences Ă©trangĂšres Ă©tait traitĂ© avec beaucoup plus de sĂ©rieux. 

Remarque : Depuis 2019, la plupart des mes prĂ©sentations publiques et privĂ©es (Forum International de CybersĂ©curitĂ©, COMCYBER, IHEDN, DLD, FIC North America) abordent ces questions. Cette premiĂšre newsletter est l’occasion de partager publiquement quelques analyses.

Un des livres que je recommande dans ces confĂ©rences reprend Ă  froid l'ensemble du processus de manipulation et les diffĂ©rents niveaux d’interfĂ©rences qui ont Ă©tĂ© mises en Ɠuvre lors de l'Ă©lection amĂ©ricaine de 2016.

Une analyse qui diminue la centralitĂ© des rĂ©seaux sociaux dans le basculement de l’élection et qui rejette plutĂŽt la faute sur le traitement par les grands mĂ©dias amĂ©ricains de l’affaire des e-mails WikiLeaks, qui finissait par ne plus mentionner leur piratage par les services russes. Une brĂšche qui a permis Ă  Trump de crĂ©er une vĂ©ritable confusion avec les autres emails (ceux des serveurs privĂ©s d'Hillary Clinton).

4. 2024 ou l’annĂ©e Ă©lectorale de tous les dangers

Faut-il encore rappeler que 2024 reste l’annĂ©e de tous les dangers, avec la moitiĂ© du monde appelĂ©e Ă  voter? 

Source: Center for American Progress.

Petit aperçu de ce qui nous attend en 2024 (certaines dates d’élections ne sont pas encore connues)

January 7, 2024 – Bangladesh 

January 13, 2024 – Taiwan 

January 28, 2024 - Finland 

February 4, 2024 – El Salvador 

February 14, 2024 – Indonesia et ici 

February 25, 2024 – Senegal 

February 25, 2024 – Belarus 

February 2024 – Pakistan (delayed from 2023)

March 10, 2024 – Portugal 

March 17, 2024 – Russia 

March 17, 2024 – Slovakia 

March 31, 2024 – Ukraine 

April 10, 2024 – South Korea 

April 2024 – Solomon Islands 

April 2024 – Maldives 

May 5, 2024 – Panama 

May 12, 2024 – Lithuania 

May 19, 2024 – Dominican Republic 

June 2024 – Mongolia 

June 1, 2024 – Iceland 

June 2, 2024 – Mexico 

June 6-9, 2024 - EU Parliament 

June 9, 2024 – Belgium

June 22, 2024 - Mauritania

June 28, 2024 - Mongolia, Parliament

July 15, 2024 - Rwanda, President and Chamber of Deputies

October 9, 2024 - Mozambique, President and Parliament

October 26, 2024 - Georgia, Parliament

October 27, 2024 - Uruguay, President and Parliament

November, 2024 - Georgia

November 5, 2024 - United States, President, Senate and House of Representatives

November 12, 2024 - Palau, President and Parliament

November 13, 2024 - Somaliland, President

November 30, 2024 - Mauritius, Parliament

December 7, 2024 - Ghana, President and Parliament

Le contexte d'Ă©lections dĂ©mocratiques pleines et entiĂšres reste la minoritĂ© si l’on se fie Ă  cet article de Foreign Policy:

5. Slow Web et respect de l’intimitĂ© computationnelle

Alors que la question du temps passĂ© sur les "Ă©crans" est le sujet politique du moment, c’est l’occasion de partager quelques rĂ©flexions sur le sujet.

L'addiction numérique.

Les risques potentiels liĂ©s Ă  l’addiction aux rĂ©seaux sociaux sont longtemps restĂ©s un sujet tabou, parce que les politiques eux-mĂȘmes s’en servent pour influencer le dĂ©bat. 

En 2010 j’en parle dans un article : The Age of Emotions.

Quand on regarde la question de l’intimitĂ© numĂ©rique, le passage au Cloud et au mobile est un Ă©chec . À l’époque, un petit groupe dont je faisais partie s’inquiĂ©tait des mĂ©canismes d’addictions par logiciels implĂ©mentĂ©s sans aucun garde-fou et dont le seul objectif est de garantir une croissance exponentielle du nombre d’utilisateurs et une consommation compulsive de contenus pour y insĂ©rer plus de publicitĂ©.

Ce modĂšle de cannibalisation de l’attention s’est considĂ©rablement amplifiĂ© quand le mobile est devenu le principal partenaire de nos vies. Et de nos votes.  

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Bonus abonné: Il y a beaucoup de littérature sur le sujet des écrans, mais la présentation que je trouve la plus pertinente est celle-ci.

Nous n’avons pas rĂ©ussi Ă  crĂ©er de frontiĂšre impermĂ©able entre notre intimitĂ© et le monde numĂ©rique commercial (celui oĂč les marques sont en compĂ©tition pour capter notre attention).

Pire, la loi n’a pas su nous protĂ©ger.

En Europe, la protection de la stabilitĂ© Ă©motionnelle des citoyens dans le numĂ©rique n’a jamais fait l’objet d’une rĂ©flexion lĂ©gislative. On se concentre sur la lutte contre les contenus haineux, sur la limite de l’accĂšs aux Ă©crans (voir les commissions ThĂ©odule sur le sujet), sans jamais proposer d’interdire aux plateformes l’accĂšs Ă  nos intimitĂ©s et de manipuler, par logiciel, nos Ă©motions. Le microtargeting ne devrait pas avoir accĂšs Ă  nos donnĂ©es personnelles.

Protéger nos cerveaux est-il encore possible ?

L'homme terminal (1974)

La protection contre l’accĂšs physique Ă  nos cerveaux semble ĂȘtre la prochaine frontiĂšre. Il sera possible dans la dĂ©cennie qui vient de lire et d’écrire directement dans le cerveau! De nombreux laboratoires se sont lancĂ©s dans cette course effrĂ©nĂ©e et les rĂ©sultats sont spectaculaires.

Lors de mon dĂ©placement Ă  MontrĂ©al pour la confĂ©rence In Cyber, j'ai pu discuter avec la fondatrice de MindField, qui rĂ©flĂ©chit a des protections physiques pour le cerveau. Un sujet qui n’était pas vraiment dans mon scope de rĂ©flexion jusqu’à maintenant. 

Atelier sur le sujet de la protection de notre cerveau Ă  l’ùre de l’IA lors de la confĂ©rence In Cyber North America 2023 Ă  MontrĂ©al.

La Neurorights Foundation lancée par Jared Genser travaille déjà à une protection juridique du cerveau. 

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Le documentaire Theater of Thought de Werner Herzog s’intĂ©resse Ă  ce sujet, mais il n’est hĂ©las pas encore disponible en streaming.

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Bonus abonnĂ©: AprĂšs de longues recherches j’ai trouvĂ© cette vidĂ©o.

Slow Web : un design de l’intimitĂ© sans addictions

En 2015, j’avais formalisĂ© les bases du Slow Web, qui mettait en avant des rĂšgles de dĂ©veloppement Ă©thique pour tout logiciel ou toute application qui utiliserait des donnĂ©es intimes. J'avais proposĂ© 4 rĂšgles de design essentielles de bon sens (toujours valables en 2024). 

Extrait du site Slowweb.io de la Slow Web Initiative

Tester le niveau d’addiction des applications  

Faudra-t-il un jour envisager des “tests de dopamines” avant d’autoriser la commercialisation d’une application sur un tĂ©lĂ©phone mobile. Et mesurer ses effets secondaires, comme c’est dĂ©jĂ  le cas pour les mĂ©dicaments ?

C’est une question que les fabricants de mobiles et les plateformes n’ont jamais voulu accepter. Pourtant, on pourrait s’inspirer de ce qui s’est fait dans le domaine du mĂ©dicament, mais aussi dans l’industrie agroalimentaire. 

Il faut lire ou relire le livre "Salt Sugar Fat" de Michael Moss qui dĂ©crit comment les grandes entreprises alimentaires utilisent le sel, le sucre et les graisses pour rendre leurs produits irrĂ©sistibles, rendant la consommation de junk food hyper addictive. Des procĂ©dĂ©s similaires sont Ă  l'Ɠuvre dans le logiciel. Les meilleurs neuroscientifiques travaillent Ă  l’addiction de nos apps.

Le statu quo, sur ces questions, n'est plus acceptable, car il laisse les utilisateurs seuls face aux manipulations des applications de leur tĂ©lĂ©phone. C’est une forme de trahison de l’État qui les abandonne face aux algorithmes et techniques de captologie des gĂ©ants du logiciel mobile.

C’est aussi une grande trahison commerciale de la part des plateformes. Nous avons tous Ă©tĂ© attirĂ©s au dĂ©part par ces services parce qu’ils promettaient de nous connecter Ă  nos amis. Pas pour qu’ils nous manipulent, contrĂŽlent nos vies, ou polarisent la sociĂ©tĂ©! 

Les vingt ans de Facebook ont été célébrés en catimini, occultés par les excuses que Mark Zuckerberg a dû présenter devant le Sénat américain à des parents ayant perdu leurs enfants à cause des réseaux sociaux.

Mark Zuckerberg au SĂ©nat.

L’image du fondateur de Facebook face aux parents restera une image forte, mais aussi le tĂ©moignage d’une grande hypocrisie. Car les mĂȘmes sĂ©nateurs qui l’accusent devant les camĂ©ras n’ont absolument rien fait pour protĂ©ger les enfants par une loi. En fait, aucune loi d’envergure n’a Ă©tĂ© passĂ©e depuis 30 ans aux Etats-Unis. La section 230 date de l’ùre de Prodigy et de GeoCities, deux services qui n'existent plus! A l’époque de son vote, Bill Clinton Ă©tait prĂ©sident.

Pour rappel: 

  1. Prodigy fut l'un des premiers fournisseurs de services en ligne qui, dans les annĂ©es 90, offrait un accĂšs Ă  Internet ainsi que des services de forums en ligne. Prodigy a Ă©tĂ© poursuivi pour diffamation Ă  cause de commentaires publiĂ©s par un utilisateur, ce qui a soulevĂ© des questions sur la responsabilitĂ© des plateformes concernant le contenu publiĂ© par les utilisateurs. En France des questions similaires se sont posĂ©es avec l’affaire Altern et Estelle Halliday. 
  2. GeoCities : Ce service permettait aux utilisateurs de crĂ©er leurs propres pages web et de les organiser en "quartiers" basĂ©s sur le thĂšme du contenu. GeoCities Ă©tait emblĂ©matique de la culture web des annĂ©es 90 le pionnier du User generated content. À l’époque, Mark Zuckerberg avait 12 ans.

La Section 230 protĂšge les plateformes en ligne contre les consĂ©quences juridiques des actions de leurs utilisateurs, tout en permettant une modĂ©ration de contenu. Elle est devenue avec le temps un pilier pour permettre Ă  des entreprises comme Google, Twitter et Facebook d’avoir une croissance exponentielle sans craindre une responsabilitĂ© lĂ©gale excessive. Tout a Ă©tĂ© fait aux US pour empĂȘcher que cette loi soit dĂ©tricotĂ©e.  Ce n’est que depuis le vote du DSA cette annĂ©e que les choses deviennent intĂ©ressantes en Europe.

6. Une régulation européenne hors sujet ?

Curieusement, le rĂšglement europĂ©en DSA et la loi SREN ne rĂ©pondent que trĂšs partiellement aux questions de manipulations des Ă©motions et d’addiction.

À ce jour, la loi SREN doit toujours passer devant le conseil constitutionnel. 

PrisonniĂšre d’une surenchĂšre politique (la bataille pour une prĂ©sidence Breton) et communicationnelle, l'Europe est surtout en train de s’embourber dans une suite interminable de rĂšglements sur des technologies qu’elle ne contrĂŽle pas. 

Difficile de trouver un schéma des régulations européennes à jour! 

Elle révÚle aussi au grand jour son impuissance vis-à-vis des grands problÚmes éthiques du numérique, tout en obligeant les petits acteurs de la technologie européenne à subir un surpoids de contraintes juridiques qui les mettent en danger.

Les grandes plateformes et leurs armĂ©es d’avocats et de lobbyistes, regardent tout cela amusĂ©es.

L’Europe prise en sandwich ?

Ce n’est pas juste avec le droit que l’on construit le futur.

Son modĂšle de rĂ©gulation est toujours peu ou prou calquĂ© sur la pensĂ©e  des États-Unis. MĂȘme le RGPD et le DMA sont fortement inspirĂ©s des intellectuels et des dĂ©bats amĂ©ricains. Lors des grandes rĂ©unions organisĂ©es par le PrĂ©sident Macron, ce sont les Ă©lĂ©ments de langage des universitĂ©s US qui dominent.

Si l’Europe a pris un peu d’avance sur les questions de rĂ©gulations, c’est aussi parce que le systĂšme lĂ©gislatif US, ultra-polarisĂ© depuis Trump, n’est plus en capacitĂ© de pouvoir passer des lois pour rĂ©guler les grandes plateformes amĂ©ricaines. La rĂ©cente loi d’interdiction de TikTok (ou sa vente) est une exception notable.

Conclusion

Le dilemme de l’Europe c’est qu’en cas de rĂ©Ă©lection de Donald Trump, il n’est pas impossible que nous nous retrouvions tout seuls pris en sandwich dans un Internet contrĂŽlĂ© d’un cĂŽtĂ© par les États-Unis, et de l’autre par la Chine avec pour seule arme des bouts de papiers lĂ©gislatifs. 

Pour faire face au dĂ©fi le plus important des prochaines annĂ©es: la fin de l’Internet tel que nous l’avons toujours connu, et ses consĂ©quences gĂ©opolitiques, Ă©conomiques, culturelles et militaires.

Cette question n’a jamais Ă©tĂ© imaginĂ©e par nos Ă©lites europĂ©ennes et il n’existe aucune bonne solution pour y remĂ©dier. Il n'y a aucun plan B.

Et pourtant, ce scénario est de plus en plus probable.

C’est de cela que nous allons traiter dans le premier de Cybernetica, un essai qui je l'espĂšre vous Ă©tonnera par ses prises de position.

Pré couv du Premier essai

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