đą 2024 au cĆur d'une dĂ©cennie incertaine (newsletter 1)
Prologue
La dĂ©cennie actuelle est un plongeon dans lâinconnu. Tout pousse Ă croire que lâInternet, cette expĂ©rience collective qui a rythmĂ© nos vies ces trente derniĂšres annĂ©es, touche Ă sa fin. Mais remplacĂ© par quoi ? Et dans quel laps de temps ?Â
Câest pour trouver des rĂ©ponses Ă ces questions que jâai lancĂ© Cybernetica.fr, tout en continuant Ă Â dĂ©fendre une vision humaniste et rĂ©aliste du numĂ©rique.Â
Il y a 4 ans, alors que la plupart des gouvernements, des groupes dâinfluence et de nombreux think tanks pariaient sur un retour au monde dâavant, jâai fait le choix de faire le deuil de lâInternet que nous avons toujours connu. Pour se projeter entiĂšrement dans ce futur incertain, aux rĂšgles non Ă©crites et quâil nâest pas toujours facile dâaccepter.
Le fruit de ces rĂ©flexions a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ© dans 6 essais qui ne seront accessibles quâĂ nos abonnĂ©s. Une lecture dense, riche et la plus sĂ©rieuse possible pour analyser ensemble lâampleur de cette transformation vertigineuse du monde.
Introduction
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaßtre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Antonio Gramsci
1. Techno-optimisme
Depuis mes premiers pas sur le rĂ©seau, en 1982, jâai toujours adhĂ©rĂ© Ă une vision optimiste et enthousiasmante de lâinformatique.Â
Un sentiment dĂ©cuplĂ© lorsque je me suis retrouvĂ© dix ans plus tard au cĆur de la Cyberculture. Â
Ce sont les débuts du Metaverse (inspiré par le roman Snow Crash sorti en 1992), l'apogée du Cyberpunk et le test des premiers casques de réalité virtuelle en démonstration à la fondation Trois Suisses (1993) à Paris.
La Cyberculture, en France, attire surtout une avant-garde dâartistes qui viennent du monde du graphisme numĂ©rique. Pour trouver lâapproche culturelle et technologique qui me convient le plus, il me faudra aller en Californie, au cĆur du rĂ©acteur de la rĂ©volution Cyberdelics.
Si le futur nâest pas uniformĂ©ment distribuĂ©, il sâest Ă©normĂ©ment concentrĂ© Ă San Francisco.
En 1993 câest lâannĂ©e de la dĂ©couverte pour moi dâun monde nouveau : le lancement de Wired, lâexpĂ©rience de Burning Man et des conversations passionnantes avec mes ânouveaux amisâ californiens : John Perry Barlow (dont je suis restĂ© trĂšs proche jusquâĂ sa mort), Bruce Sterling, Howard Rheingold, Timothy Leary, Kevin Mitnick ou encore le trĂšs secret Hakim Bey.Â
Lâautre publication Cyber-situationniste de rĂ©fĂ©rence est Mondo 2000, qui, avec le recul, Ă©tait beaucoup plus rebelle que Wired, trop proche des corporates.
Ayant eu la chance de revenir travailler, trois ans plus tard dans la Silicon Valley au moment oĂč elle invente les premiers navigateurs web et pose les prĂ©mices du Cloud (Network Computer and JavaOS), je me demande parfois si les annĂ©es 90 nâont pas Ă©tĂ© le meilleur cru de cette rĂ©gion qui a vĂ©cu tant de rĂ©volutions successives. Quasiment tous les fondamentaux de ce que nous vivons aujourdâhui se sont inventĂ©s Ă ce moment-lĂ .Â
Pattie Maes, mon Ă©gĂ©rie de lâIntelligence Artificielle au MIT, formalise le concept dâagents intelligents autonomes (une vision qui sera prĂ©sentĂ©e deux dĂ©cennies plus tard Ă Ted avec lâinterface Sixth Sense). Lors dâun rare passage Ă Paris, elle me confiait dâailleurs que la question de lâĂ©thique de lâIA nâĂ©tait pas dans leurs conversations Ă l'Ă©poque. LâidĂ©e mĂȘme que la technologie puisse ĂȘtre utilisĂ©e pour autre chose que le bien de lâhumanitĂ© semblait impensable.Â
Câest ce que jâai Ă©galement ressenti avec le Web 2.0 qui a donnĂ© une visibilitĂ© internationale Ă mes produits et Ă mes startups (netvibes et Jolicloud).Â
NĂ© de la tentative ratĂ©e par Microsoft dâimposer son navigateur Internet Explorer sur tous les ordinateurs Windows, le Web 2.0 nous a donnĂ© le sentiment quâaucun monopole ne pourrait rĂ©sister Ă lâutopie originelle dâun web ouvert et accessible pour tous. Un sentiment naĂŻf auquel nous avons pourtant voulu croire de toutes nos forces. Y compris par ceux dont la sociĂ©tĂ© avait Ă©tĂ© rachetĂ©e par Google, Yahoo ou Ebay.
2. Vibe ShiftÂ
AprĂšs les attentats de novembre 2015, qui mâont touchĂ© personnellement, je me suis beaucoup questionnĂ© sur lâinfluence nĂ©gative des rĂ©seaux sociaux et de lâInternet dans lâĂ©volution de notre monde.Â
Mes positions assez pessimistes , Ă lâĂ©poque, sont vraiment Ă lâopposĂ© du discours ambiant. Â
Mais plus j'avançais dans mes recherches, et plus je me rendais compte que nous Ă©tions dans une trajectoire de collision inĂ©luctable entre :Â
- Des plateformes qui avaient totalement saturĂ© notre capacitĂ© dâattention en nous obligeant Ă consommer une culture algorithmique, mondialisĂ©e et dĂ©sincarnĂ©e.
- Des populations qui, de par le monde, exprimaient à travers leur vote ou leurs positions un rejet important de cette globalisation implacable et dénuée de sens.
- Des Ătats opportunistes qui avaient trouvĂ© dans les rĂ©seaux sociaux lâultime outil pour mener leurs opĂ©rations psychologiques ou PsyOps. Une façon de diviser et de semer le trouble sans avoir Ă faire la guerre, disait le philosophe Jacques Ellul.
Ce qui mâavait choquĂ© Ă lâĂ©poque, câest que plusieurs des terroristes du 13 novembre avaient Ă©tĂ© radicalisĂ©s via les rĂ©seaux sociaux. Comme cela a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© par la suite dans un livre, lâĂtat Islamique, pour amĂ©liorer son recrutement, sâĂ©tait fortement inspirĂ© des techniques de communication virale de la chanteuse Taylor Swift.Â
La boĂźte de Pandore s'Ă©tait ouverte. Plus de retour en arriĂšre possible.Â
3. LâĂšre du vote algorithmiquement manipulĂ©
Pour un Ćil aguerri, le Brexit, l'Ă©lection de Trump et tout ce qui a suivi Ă©taient parfaitement prĂ©visibles. En introduisant quelque chose de totalement nouveau dans nos vies - lâintimitĂ© computationnelle ou la mise en algorithme de nos vies intimes - le mobile et les applications ont fait de notre relation Ă la vĂ©ritĂ© la principale victime.Â
Le choix de montrer certains contenus Ă certains moments de la journĂ©e change nos humeurs. Cela impacte forcĂ©ment la stabilitĂ© Ă©motionnelle des utilisateurs de ces rĂ©seaux.Â
Des utilisateurs qui sont aussi des citoyens.Â
On aura mis beaucoup de temps Ă rembobiner le film. Encore plus Ă Ă©tudier sĂ©rieusement ces mĂ©canismes de prise de contrĂŽle algorithmique des prĂ©cĂ©dentes Ă©lections.Â
En Angleterre, une majoritĂ© de contenus manipulĂ©s en faveur du Brexit sont restĂ©s invisibles du rĂ©gulateur et de la presse, des mois, voire des annĂ©es aprĂšs les Ă©lections.Â
Les rĂ©seaux sociaux, pourtant toujours prompts Ă expliquer Ă leurs annonceurs qu'ils savent tout de leurs utilisateurs seconde par seconde, semblent avoir Ă©tĂ© victimes dâune forme dâamnĂ©sie dĂšs quâon leur a demandĂ© des comptes.
Les Ătats qui ont mis en place des opĂ©rations d'ingĂ©rence ont Ă©tĂ© surpris par la facilitĂ© avec laquelle on pouvait dĂ©clarer une guerre cognitive Ă grande Ă©chelle par lâinjection dâĂ©motions nĂ©gatives dans les populations cibles. LâĂ©quipe de Trump a dâailleurs uniquement suivi les instructions des Ă©quipes âembeddedâ de Facebook. Â
Mais depuis lâĂ©lection de Biden, et surtout aprĂšs l'insurrection du Capitole, câest beaucoup plus difficile. Facebook a investi Ă©normĂ©ment pour sâassurer de ne plus ĂȘtre accusĂ© de nĂ©gligence. Câest beaucoup moins vrai de TikTok, une plateforme inoffensive Ă lâextĂ©rieur, mais qui nâa aucun souci Ă exposer les plus jeunes Ă des contenus qui mĂ©riteraient au minimum une supervision des parents. Regardez la timeline de story ci-dessous.Â
Cette simulation par un bot des vidĂ©os vu par un jeune de 13 ans sur TikTok a de quoi effrayer.Â
Le sujet des ingĂ©rences dans les Ă©lections mĂ©riterait une vĂ©ritable analyse en profondeur. Il est traitĂ© avec lĂ©gĂšretĂ© par la presse, comme par exemple avec le traitement simpliste de lâaffaire Cambridge Analytica.Â
Il y a quelques mois, Ă la demande de lâIHEDN, jâai acceptĂ© de modĂ©rer une des confĂ©rences du Paris Defence and Strategy Forum organisĂ© Ă lâĂcole de Guerre.
Devant un parterre d'officiers et dâanalystes militaires, plusieurs experts du sujet (ArmĂ©e française, OTAN, Science Po) nous ont dĂ©crit les derniĂšres techniques d'ingĂ©rence. La question de lâutilisation des vulnĂ©rabilitĂ©s du cerveau humain a Ă©tĂ© Ă©galement dĂ©cryptĂ©e par une mĂ©decin Chef de lâArmĂ©e.
Une occasion pour moi de prendre conscience que les sujets d'ingérence sont là pour durer.
La crĂ©ation de Viginum est un premier pas, mais cette agence doit trouver la bonne distance et le bon Ă©quilibre vis-Ă -vis du gouvernement pour ĂȘtre totalement crĂ©dible dans ses recommandations, qui sont accueillies avec mĂ©fiance par certaines formations politiques.Â
Nous avons baissĂ© en vigilance par rapport Ă lâĂ©poque de la guerre froide oĂč le sujet des ingĂ©rences Ă©trangĂšres Ă©tait traitĂ© avec beaucoup plus de sĂ©rieux.Â
Remarque : Depuis 2019, la plupart des mes prĂ©sentations publiques et privĂ©es (Forum International de CybersĂ©curitĂ©, COMCYBER, IHEDN, DLD, FIC North America) abordent ces questions. Cette premiĂšre newsletter est lâoccasion de partager publiquement quelques analyses.
Un des livres que je recommande dans ces confĂ©rences reprend Ă froid l'ensemble du processus de manipulation et les diffĂ©rents niveaux dâinterfĂ©rences qui ont Ă©tĂ© mises en Ćuvre lors de l'Ă©lection amĂ©ricaine de 2016.
Une analyse qui diminue la centralitĂ© des rĂ©seaux sociaux dans le basculement de lâĂ©lection et qui rejette plutĂŽt la faute sur le traitement par les grands mĂ©dias amĂ©ricains de lâaffaire des e-mails WikiLeaks, qui finissait par ne plus mentionner leur piratage par les services russes. Une brĂšche qui a permis Ă Trump de crĂ©er une vĂ©ritable confusion avec les autres emails (ceux des serveurs privĂ©s d'Hillary Clinton).
4. 2024 ou lâannĂ©e Ă©lectorale de tous les dangers
Faut-il encore rappeler que 2024 reste lâannĂ©e de tous les dangers, avec la moitiĂ© du monde appelĂ©e Ă voter?Â
Petit aperçu de ce qui nous attend en 2024 (certaines dates dâĂ©lections ne sont pas encore connues)
January 7, 2024 â BangladeshÂ
January 13, 2024 â TaiwanÂ
January 28, 2024 - FinlandÂ
February 4, 2024 â El SalvadorÂ
February 14, 2024 â Indonesia et iciÂ
February 25, 2024 â SenegalÂ
February 25, 2024 â BelarusÂ
February 2024 â Pakistan (delayed from 2023)
March 10, 2024 â PortugalÂ
March 17, 2024 â RussiaÂ
March 17, 2024 â SlovakiaÂ
March 31, 2024 â UkraineÂ
April 10, 2024 â South KoreaÂ
April 2024 â Solomon IslandsÂ
April 2024 â MaldivesÂ
May 5, 2024 â PanamaÂ
May 12, 2024 â LithuaniaÂ
May 19, 2024 â Dominican RepublicÂ
June 2024 â MongoliaÂ
June 1, 2024 â IcelandÂ
June 2, 2024 â MexicoÂ
June 6-9, 2024 - EU ParliamentÂ
June 9, 2024 â Belgium
June 22, 2024 - Mauritania
June 28, 2024 - Mongolia, Parliament
July 15, 2024 - Rwanda, President and Chamber of Deputies
October 9, 2024 - Mozambique, President and Parliament
October 26, 2024 - Georgia, Parliament
October 27, 2024 - Uruguay, President and Parliament
November, 2024 - Georgia
November 5, 2024 - United States, President, Senate and House of Representatives
November 12, 2024 - Palau, President and Parliament
November 13, 2024 - Somaliland, President
November 30, 2024 - Mauritius, Parliament
December 7, 2024 - Ghana, President and Parliament
Le contexte d'Ă©lections dĂ©mocratiques pleines et entiĂšres reste la minoritĂ© si lâon se fie Ă cet article de Foreign Policy:
5. Slow Web et respect de lâintimitĂ© computationnelle
Alors que la question du temps passĂ© sur les "Ă©crans" est le sujet politique du moment, câest lâoccasion de partager quelques rĂ©flexions sur le sujet.
Les risques potentiels liĂ©s Ă lâaddiction aux rĂ©seaux sociaux sont longtemps restĂ©s un sujet tabou, parce que les politiques eux-mĂȘmes sâen servent pour influencer le dĂ©bat.Â
Quand on regarde la question de lâintimitĂ© numĂ©rique, le passage au Cloud et au mobile est un Ă©chec . Ă lâĂ©poque, un petit groupe dont je faisais partie sâinquiĂ©tait des mĂ©canismes dâaddictions par logiciels implĂ©mentĂ©s sans aucun garde-fou et dont le seul objectif est de garantir une croissance exponentielle du nombre dâutilisateurs et une consommation compulsive de contenus pour y insĂ©rer plus de publicitĂ©.
Ce modĂšle de cannibalisation de lâattention sâest considĂ©rablement amplifiĂ© quand le mobile est devenu le principal partenaire de nos vies. Et de nos votes. Â
Nous nâavons pas rĂ©ussi Ă crĂ©er de frontiĂšre impermĂ©able entre notre intimitĂ© et le monde numĂ©rique commercial (celui oĂč les marques sont en compĂ©tition pour capter notre attention).
Pire, la loi nâa pas su nous protĂ©ger.
En Europe, la protection de la stabilitĂ© Ă©motionnelle des citoyens dans le numĂ©rique nâa jamais fait lâobjet dâune rĂ©flexion lĂ©gislative. On se concentre sur la lutte contre les contenus haineux, sur la limite de lâaccĂšs aux Ă©crans (voir les commissions ThĂ©odule sur le sujet), sans jamais proposer dâinterdire aux plateformes lâaccĂšs Ă nos intimitĂ©s et de manipuler, par logiciel, nos Ă©motions. Le microtargeting ne devrait pas avoir accĂšs Ă nos donnĂ©es personnelles.
Protéger nos cerveaux est-il encore possible ?
La protection contre lâaccĂšs physique Ă nos cerveaux semble ĂȘtre la prochaine frontiĂšre. Il sera possible dans la dĂ©cennie qui vient de lire et dâĂ©crire directement dans le cerveau! De nombreux laboratoires se sont lancĂ©s dans cette course effrĂ©nĂ©e et les rĂ©sultats sont spectaculaires.
Lors de mon dĂ©placement Ă MontrĂ©al pour la confĂ©rence In Cyber, j'ai pu discuter avec la fondatrice de MindField, qui rĂ©flĂ©chit a des protections physiques pour le cerveau. Un sujet qui nâĂ©tait pas vraiment dans mon scope de rĂ©flexion jusquâĂ maintenant.Â
La Neurorights Foundation lancĂ©e par Jared Genser travaille dĂ©jĂ Ă une protection juridique du cerveau.Â
Le documentaire Theater of Thought de Werner Herzog sâintĂ©resse Ă ce sujet, mais il nâest hĂ©las pas encore disponible en streaming.
Slow Web : un design de lâintimitĂ© sans addictions
En 2015, jâavais formalisĂ© les bases du Slow Web, qui mettait en avant des rĂšgles de dĂ©veloppement Ă©thique pour tout logiciel ou toute application qui utiliserait des donnĂ©es intimes. J'avais proposĂ© 4 rĂšgles de design essentielles de bon sens (toujours valables en 2024).Â
Tester le niveau dâaddiction des applications Â
Faudra-t-il un jour envisager des âtests de dopaminesâ avant dâautoriser la commercialisation dâune application sur un tĂ©lĂ©phone mobile. Et mesurer ses effets secondaires, comme câest dĂ©jĂ le cas pour les mĂ©dicaments ?
Câest une question que les fabricants de mobiles et les plateformes nâont jamais voulu accepter. Pourtant, on pourrait sâinspirer de ce qui sâest fait dans le domaine du mĂ©dicament, mais aussi dans lâindustrie agroalimentaire.Â
Il faut lire ou relire le livre "Salt Sugar Fat" de Michael Moss qui dĂ©crit comment les grandes entreprises alimentaires utilisent le sel, le sucre et les graisses pour rendre leurs produits irrĂ©sistibles, rendant la consommation de junk food hyper addictive. Des procĂ©dĂ©s similaires sont Ă l'Ćuvre dans le logiciel. Les meilleurs neuroscientifiques travaillent Ă lâaddiction de nos apps.
Le statu quo, sur ces questions, n'est plus acceptable, car il laisse les utilisateurs seuls face aux manipulations des applications de leur tĂ©lĂ©phone. Câest une forme de trahison de lâĂtat qui les abandonne face aux algorithmes et techniques de captologie des gĂ©ants du logiciel mobile.
Câest aussi une grande trahison commerciale de la part des plateformes. Nous avons tous Ă©tĂ© attirĂ©s au dĂ©part par ces services parce quâils promettaient de nous connecter Ă nos amis. Pas pour quâils nous manipulent, contrĂŽlent nos vies, ou polarisent la sociĂ©tĂ©!Â
Les vingt ans de Facebook ont été célébrés en catimini, occultés par les excuses que Mark Zuckerberg a dû présenter devant le Sénat américain à des parents ayant perdu leurs enfants à cause des réseaux sociaux.
Lâimage du fondateur de Facebook face aux parents restera une image forte, mais aussi le tĂ©moignage dâune grande hypocrisie. Car les mĂȘmes sĂ©nateurs qui lâaccusent devant les camĂ©ras nâont absolument rien fait pour protĂ©ger les enfants par une loi. En fait, aucune loi dâenvergure nâa Ă©tĂ© passĂ©e depuis 30 ans aux Etats-Unis. La section 230 date de lâĂšre de Prodigy et de GeoCities, deux services qui n'existent plus! A lâĂ©poque de son vote, Bill Clinton Ă©tait prĂ©sident.
Pour rappel:Â
- Prodigy fut l'un des premiers fournisseurs de services en ligne qui, dans les annĂ©es 90, offrait un accĂšs Ă Internet ainsi que des services de forums en ligne. Prodigy a Ă©tĂ© poursuivi pour diffamation Ă cause de commentaires publiĂ©s par un utilisateur, ce qui a soulevĂ© des questions sur la responsabilitĂ© des plateformes concernant le contenu publiĂ© par les utilisateurs. En France des questions similaires se sont posĂ©es avec lâaffaire Altern et Estelle Halliday.Â
- GeoCities : Ce service permettait aux utilisateurs de crĂ©er leurs propres pages web et de les organiser en "quartiers" basĂ©s sur le thĂšme du contenu. GeoCities Ă©tait emblĂ©matique de la culture web des annĂ©es 90 le pionnier du User generated content. Ă lâĂ©poque, Mark Zuckerberg avait 12 ans.
La Section 230 protĂšge les plateformes en ligne contre les consĂ©quences juridiques des actions de leurs utilisateurs, tout en permettant une modĂ©ration de contenu. Elle est devenue avec le temps un pilier pour permettre Ă des entreprises comme Google, Twitter et Facebook dâavoir une croissance exponentielle sans craindre une responsabilitĂ© lĂ©gale excessive. Tout a Ă©tĂ© fait aux US pour empĂȘcher que cette loi soit dĂ©tricotĂ©e. Ce nâest que depuis le vote du DSA cette annĂ©e que les choses deviennent intĂ©ressantes en Europe.
6. Une régulation européenne hors sujet ?
Curieusement, le rĂšglement europĂ©en DSA et la loi SREN ne rĂ©pondent que trĂšs partiellement aux questions de manipulations des Ă©motions et dâaddiction.
Ă ce jour, la loi SREN doit toujours passer devant le conseil constitutionnel.Â
PrisonniĂšre dâune surenchĂšre politique (la bataille pour une prĂ©sidence Breton) et communicationnelle, l'Europe est surtout en train de sâembourber dans une suite interminable de rĂšglements sur des technologies quâelle ne contrĂŽle pas.Â
Elle révÚle aussi au grand jour son impuissance vis-à -vis des grands problÚmes éthiques du numérique, tout en obligeant les petits acteurs de la technologie européenne à subir un surpoids de contraintes juridiques qui les mettent en danger.
LâEurope prise en sandwich ?
Son modĂšle de rĂ©gulation est toujours peu ou prou calquĂ© sur la pensĂ©e des Ătats-Unis. MĂȘme le RGPD et le DMA sont fortement inspirĂ©s des intellectuels et des dĂ©bats amĂ©ricains. Lors des grandes rĂ©unions organisĂ©es par le PrĂ©sident Macron, ce sont les Ă©lĂ©ments de langage des universitĂ©s US qui dominent.
Si lâEurope a pris un peu dâavance sur les questions de rĂ©gulations, câest aussi parce que le systĂšme lĂ©gislatif US, ultra-polarisĂ© depuis Trump, nâest plus en capacitĂ© de pouvoir passer des lois pour rĂ©guler les grandes plateformes amĂ©ricaines. La rĂ©cente loi dâinterdiction de TikTok (ou sa vente) est une exception notable.
Conclusion
Le dilemme de lâEurope câest quâen cas de rĂ©Ă©lection de Donald Trump, il nâest pas impossible que nous nous retrouvions tout seuls pris en sandwich dans un Internet contrĂŽlĂ© dâun cĂŽtĂ© par les Ătats-Unis, et de lâautre par la Chine avec pour seule arme des bouts de papiers lĂ©gislatifs.Â
Pour faire face au dĂ©fi le plus important des prochaines annĂ©es: la fin de lâInternet tel que nous lâavons toujours connu, et ses consĂ©quences gĂ©opolitiques, Ă©conomiques, culturelles et militaires.
Cette question nâa jamais Ă©tĂ© imaginĂ©e par nos Ă©lites europĂ©ennes et il nâexiste aucune bonne solution pour y remĂ©dier. Il n'y a aucun plan B.
Et pourtant, ce scénario est de plus en plus probable.
Câest de cela que nous allons traiter dans le premier de Cybernetica, un essai qui je l'espĂšre vous Ă©tonnera par ses prises de position.
Comment sâabonner Ă Cybernetica ?
Ce qui est gratuit nâa pas de valeur. Presque tout ce que lâon lit sur les sujets de gĂ©opolitique et de numĂ©rique est influencĂ© politiquement ou commercialement. Rester indĂ©pendant est devenu une commoditĂ© de plus en plus rare. Le consensus, la peur des scĂ©narios inconnus, l'entre-soi de la Tech et ses ĆillĂšres nous ont emmenĂ©s dans le mur. Il est peut-ĂȘtre temps de lire autre chose.
Pour sâabonner, câest ici.